SAINT-OUEN
La Commune de Saint-Ouen a récemment été condamnée à restaurer la sculpture « T.O.L.É.R.A.N.C.E » de Guy Ferrer et à l’indemniser de l’atteinte à son droit moral.
Saint-Ouen. Œuvre de Guy Ferrer, la sculpture monumentale T.O.L.É.R.A.N.C.E [voir ill.] créée en 2004, composée de neuf sculptures représentant une lettre-personnage en bronze de 200 kg et d’une hauteur de 2,50 m environ, chacune correspondant à différents cultes ou spiritualités, est au cœur d’un contentieux civil et administratif depuis 2017.
Installée dans le parc François-Mitterrand situé entre Clichy, Saint-Ouen et le 17e arrondissement de Paris depuis 2007, cette sculpture a subi de nombreux dommages. Des détériorations ont eu lieu en 2014, mais surtout en 2016 avec le vol de trois lettres (le N, le É et le E) et la dégradation des lettres T, R, A et C.
Or l’artiste avait conclu avec le maire de Saint-Ouen une convention au terme de laquelle la Commune était tenue de l’entretien et de la restauration de l’œuvre. Raison pour laquelle, après avoir fait estimer à près de 61 000 euros les réparations nécessaires par la fonderie Chapon, l’artiste demanda à la Commune sa restauration et l’indemnisation de son préjudice moral du fait de la dégradation de l’œuvre. En vain.
Il assigna alors la Commune en référé devant le juge civil mais, débouté de ses demandes, il saisit le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil compétent pour se prononcer sur le contrat et qui, par ordonnance du 21 avril 2017, enjoignait à Saint-Ouen de sécuriser l’emplacement de T.O.L.É.R.A.N.C.E.
Fort de cette ordonnance, il sollicita alors auprès du tribunal administratif l’annulation de la décision du maire rejetant implicitement ses demandes de restauration de l’œuvre et de versement de la somme de 300 000 euros en réparation de l’atteinte à son droit moral d’auteur.
Toutefois, même si le juge administratif est compétent pour ordonner à la Commune de réaliser des travaux de restauration et de sécurisation de l’œuvre, seul le juge judiciaire est compétent pour statuer sur l’existence d’une atteinte au droit moral de l’auteur et le préjudice y afférant, selon le code de la propriété intellectuelle.
C’est pourquoi le 7 juin 2017, le tribunal administratif a sursis à statuer dans l’attente du jugement du tribunal de grande instance de Paris sur l’atteinte au droit moral de l’artiste qui, en mars 2019, condamna la Commune à lui verser 5 000 euros en réparation de son préjudice. Puis, le 19 septembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil enjoignait à la Commune de réaliser dans un délai de neuf mois, les travaux de restauration et de sécurisation de l’œuvre.
Ces deux jugements, contestés par les parties, ont été confirmés en appel.
En premier lieu, le 17 décembre 2020, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté les requêtes de la Commune de Saint-Ouen. Pour la cour, l’absence de terme à la durée de l’exécution du contrat soutenu par la Commune ne suffit pas, à elle seule, à démontrer l’irrégularité de la convention qui oblige la Commune à restaurer l’œuvre « dans les délais les plus brefs possibles en cas de dégradations ». En outre, la Commune ne peut pas, non plus, se prévaloir de la dégradation de sa situation financière pour s’exonérer de ses obligations, car même un motif d’intérêt général « ne peut conduire le juge à écarter l’application de clauses d’un contrat dont l’irrégularité n’est pas démontrée ».
Puis, le 12 février 2021, la cour d’appel de Paris a confirmé la position des premiers juges. En effet, après avoir rappelé que le vol et les dégradations constituaient bien une atteinte au droit moral de l’auteur et au respect de l’intégrité de l’œuvre, la cour a affirmé la responsabilité de la Commune qui « en laissant visible l’œuvre dégradée sans y apporter restauration [...] a participé à l’atteinte du droit moral de l’auteur sur son œuvre et doit réparation ». Elle a cependant rejeté la demande d’indemnisation de 300 000 euros de l’artiste assise sur le prix de vente de deux autres répliques de l’œuvre, estimant que « ces éléments sont sans incidences réelles sur le préjudice né de l’atteinte au droit moral qui doit s’évaluer au regard de la présentation au public de l’œuvre dégradée et amputée de trois lettres la composant, perdant de ce fait tout sens et toute signification intellectuelle et artistique », pour confirmer la condamnation de la Commune au paiement de 5 000 euros en indemnisation de ce préjudice.
En somme, tenue contractuellement, une Commune ne peut se dédouaner de ses obligations d’entretien et de restauration afférant à une œuvre d’art.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°562 du 5 mars 2021, avec le titre suivant : Saint-Ouen contrainte à restaurer une œuvre d’art