Photographie et peinture ont toujours été intrinsèquement liées, notamment en ce qui concerne la fixité de l’image et la question du cadre. On ne compte plus les photographes citationnels qui ont produit des images qui copient les peintres. Si intéressant soit-il, ce geste postmoderne de la citation – voir les photographies peintes de Pierre & Gilles fonctionnant tels des remakes ludiques de la grande peinture et d’icônes en tous genres – n’est pas ce qui nous intéresse ici, on privilégiera davantage les photographes qui retrouvent la peinture, non pas par la référence explicite, mais par des chemins de traverse (le documentaire, les médias…), proposant ainsi de la revisiter en interrogeant son langage. Tel un archéologue, Louis-Cyprien Rials dévoile, en les agrandissant, des pierres polies qu’il scanne : ses tirages photographiques deviennent, semble-t-il, des détails de paysages de peintures renaissantes. De son côté, Anna Malagrida photographie des fenêtres badigeonnées de blanc d’Espagne. La photographie disparaît au profit du geste pictural : « L’approche est documentaire, je suis devant le monde mais, en même temps, il y a un écho à la peinture. » En photographiant des animaux au zoo, Éric Pillot lorgne vers le documentaire mais, très vite, la poésie prime sur la prise de vue réelle : la lumière sophistiquée et les fonds traités en aplats déréalisent les animaux au point d’en faire nos doubles, comme si l’on était devant un Gilles Aillaud. À l’instar de Malagrida, Pillot fait confiance à la puissance évocatrice de son médium et à la culture des images du spectateur pour qu’un dialogue s’instaure, naturellement, entre photographie et peinture.
Si certains passent par la veine documentaire pour retrouver la peinture, d’autres s’appuient non seulement sur la photographie mais aussi sur d’autres médiums (le cinéma, la télévision, le Web) pour « rejouer » la peinture : attentif au dysfonctionnement de la diffusion des films sur Internet, Éric Rondepierre montre, avec ses captures d’écran, des ratés de l’image (fractionnement des pixels, distorsions…) qui rappellent le futurisme ou Glenn Brown. « Le paradoxe, note-t-il, est que la peinture arrive au bout d’une chaîne qui passe par cinéma/télévision/informatique/photographie. » Quant à Parker Ito, il fait, lui aussi, feu de tout bois en diffusant sur la Toile des photographies de ses tableaux et installations immersives afin d’engendrer un work in progress participatif autour de ses images : tout un chacun peut se les approprier pour engendrer une peinture en réseau, se faisant « laboratoire » du monde multipliant références, collaborations et identités.
Éric Pillot
Lauréat 2012 du Prix HSBC pour la photographie, Éric Pillot, né en 1968 et représenté par la Galerie Dumonteil à Paris, parcourt depuis 2008 les zoos d’Europe et des États-Unis pour photographier des animaux en captivité. Attentif à l’architecture et aux installations des parcs zoologiques qu’il perçoit comme de grandes surfaces d’exposition, ce virtuose de la lumière et des couleurs pastel crée des images poétiques qui, allant du Douanier Rousseau à Gilles Aillaud, donnent l’impression au visiteur de regarder des compositions animalières mêlant dessin hyperréaliste et photographie peinte. Partout, ses photographies suscitent l’engouement des plus grands collectionneurs.
Anna Malagrida
Née en 1970 à Barcelone, la photographe et vidéaste Anna Malagrida, qui exposait cet automne ses photographies au Frac PACA de Marseille, fait un travail sur le cadre photographique en tant que fenêtre ouverte sur le monde. À travers ses séries Point de vue (2006-2007) et Vitrines (2008), elle donne à voir des façades de vitrines recouvertes de blanc d’Espagne. Oscillant entre opacité et transparence, la photographie, en laissant apparaître le geste pictural anonyme de badigeonnage et la peinture parfois grattée pour mieux regarder au travers, se transforme en surface capable de reproduire la peinture et son histoire : de l’Art brut à Antoni Tàpies via l’expressionnisme abstrait, Jean Messagier et Bertrand Lavier.
Parker Ito
Récemment montré à l’exposition « Co-Workers », Parker Ito, « l’enfant terrible de Los Angeles », est un artiste post-Internet mariant, à l’ère du Web 2.0, peintures, sculptures et vidéos. Ses productions ne se limitent plus à l’objet tangible et à l’expérience physique : œuvres et expositions sont photographiées et publiées en ligne, elles circulent et contaminent le Net, quitte à ce que leur auteur disparaisse derrière l’anonymat. Transformant la peinture, via la culture de la visibilité orchestrée par la Toile, en une immense banque d’images illimitée, cette nouvelle coqueluche du marché de l’art, née en 1986, brouille les pistes entre réel et virtuel, original et copie, producteur et consommateur, artiste et public.
Louis-Cyprien Rials
Né en 1981 à Paris, Louis-Cyprien Rials, qui était sélectionné à l’automne dernier pour la bourse Révélations Emerige, est un artiste qui part des « pierres à images ». Après les avoir polies, il les scanne en très haute résolution, l’agrandissement photographique donnant alors naissance à des peintures-paysages méditatives. Selon le phénomène bien connu de paréidolie, le fragment devient paysage, car le spectateur se plaît à reconnaître quelque chose de parfaitement concret dans un agrandissement de pierre pourtant abstrait. Des expositions de ce jeune plasticien sont prévues courant 2016, notamment avec IDK Contemporary à Bruxelles et la Galerie Dohyang Lee à Paris.
Éric Rondepierre
Exposé dernièrement chez Isabelle Gounod, Éric Rondepierre, né en 1950 à Orléans, crée une photographie à effets secondaires. Dans sa série DSL commencée en 2010 (Digital Subscriber Line devenant « Désolé de saboter vos lignes »), il extirpe des images au mouvement filmique et, en jouant avec des photogrammes et autres images venues d’horizons divers (télévision, informatique, photographie), met ainsi à jour une pixellisation défectueuse transformant soudain la reproduction photographique en peinture « instantanée », hésitant entre figuration et abstraction.
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La photographie, de la peinture de chevalet à internet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°687 du 1 février 2016, avec le titre suivant : La photographie, de la peinture de chevalet à internet