L’architecte et designer phare des années 1950, aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli, a donné un visage étonnamment moderniste au célèbre port méditerranéen. Suivez le guide.
Il y a mille manières de découvrir Gênes. Certes, dans une ville qui regorge de splendides palazzi, la promenade patrimoniale est de rigueur. Mais avez-vous déjà songé à une balade sur le thème de l’architecture rationaliste ? Celle-ci est possible au travers d’un travail remarquable signé Franco Albini. « L’architecte des équilibres instables », comme aimait à le définir l’historien d’art napolitain Cesare de Seta, y a conçu, dans les années 1950 et 1960, une série de projets muséographiques emblématiques. Ce parcours Albini est notamment ponctué par quatre grands musées de Gênes : le Palazzo Bianco, le Palazzo Rosso, le Museo del Tesoro et le Museo di Sant’Agostino.
Un « Palazzo Albini »
Début du circuit : Strada Nuova, actuelle Via Garibaldi, épicentre des institutions artistiques génoises. Sur cette fameuse rue piétonne, s’élève le majestueux Palazzo Bianco, dont l’intérieur, redessiné par Franco Albini, consiste en un subtil exercice en noir (sol) et blanc (mur et plafond). L’architecte y a, en outre, réalisé un ensemble de dispositifs ingénieux pour présenter au mieux les œuvres. Dans chaque salle, en partie haute des murs, file un rail métallique qui permet de suspendre des toiles de tous formats et à toute hauteur. Parfois, celles-ci reposent sur des cimaises habillées de pierre grise du plus bel effet. D’autres sont montées sur un système d’axe pivotant qui permet d’admirer le verso. Pour les sculptures, Albini a imaginé de minces structures métalliques qui font office de supports. Des fauteuils de cuir d’époque complètent l’aménagement, pour le plus grand bonheur des visiteurs.
Le jardin du Palazzo Bianco, surélevé d’un étage par rapport à la rue, est une oasis de calme. Grimper jusqu’à sa terrasse la plus haute permet d’avoir une vue plongeante sur un autre projet signé Franco Albini : le Palazzo degli Uffizi Nuovi del Municipio, autrement dit l’extension de l’hôtel de ville que d’aucuns surnomment désormais « Palazzo Albini ». Contrairement aux interventions dans les édifices historiques, il s’agit ici d’un bâtiment neuf, en gradins, dont les astucieuses fenêtres latérales sont taillées en biseau afin de pouvoir voir la mer. Les mordus guetteront les dates des conseils municipaux, seules occasions de pouvoir pénétrer à l’intérieur de la Sala Conciliare (« Salle du conseil »), restée elle aussi entièrement « dans son jus ».
Depuis ce jardin, une façade d’un rouge profond située de l’autre côté de la Via Garibaldi attire l’œil : celle du Palazzo Rosso, deuxième étape du parcours « albinien ». À l’intérieur, on retrouve les mêmes dispositifs de monstration, auxquels s’ajoutent d’élégants luminaires de métal noir. Dans une salle, un bel escalier hélicoïdal mène au dernier étage. C’est là que se trouve l’appartement de l’ancienne conservatrice, Caterina Marcenaro (1906-1976), laquelle, alors également directrice des musées civiques de Gênes, avait passé commande à Franco Albini. Ce logement, qui fait aujourd’hui partie intégrante de la visite muséale, a connu une histoire pour le moins mouvementée. Après la mort de Caterina Marcenaro, il a été entièrement vidé et transformé en… bureaux.
Puis, en 2004, nouveau changement de programme : « Les bureaux furent déménagés, raconte Piero Boccardo, directeur des musées de la Strada Nuova. Et décision fut prise de recréer le mythique appartement de la conservatrice, non pas à l’identique, car tout avait été dispersé trente ans plus tôt, mais dans une reconstitution fidèle à l’origine. »
Le lieu est à la fois austère et émouvant. Les dispositifs d’accrochage des œuvres sont bien là, ainsi que du mobilier et une étonnante cheminée dessinés par Albini. Des fenêtres, la vue sur le port est splendide. Mais l’on peut encore davantage dominer la ville en grimpant sur le toit du musée, grâce à un petit escalier conduisant à un belvédère d’où se déploie, à 360°, un panorama époustouflant.
Un écrin aux reliques sacrées
Si vous êtes à la fois amateur d’art et de… gâteaux fins, ne boudez pas votre plaisir ! Avant de quitter la Via Garibaldi et de déboucher sur la Piazza delle Fontane Marose, un petit crochet par la Pasticceria Profumo, Via del Portello, s’impose. Selon la saison, vous opterez pour une Giardiniera, « le meilleur gâteau du monde », dixit les connaisseurs. L’estomac aux anges, il suffit de dévaler au choix la confortable Via XXV Aprile, vers le Palais ducal, ou, plus audacieux, le labyrinthe des ruelles qui glissent vers le port pour tomber nez à nez avec la cathédrale San Lorenzo. À l’intérieur, se dissimule le Museo del Tesoro di San Lorenzo (« Musée du trésor de saint Laurent »). Franco Albini a conçu cet écrin en pierre anthracite et en béton et l’a doté de vitrines de verre et de métal pour accueillir les reliques sacrées. L’endroit est d’une sobriété confondante.
En sortant de la cathédrale, le visiteur zigzaguera encore un brin en direction du port pour arriver au Museo di Sant’Agostino, planté sur la Piazza di Sarzano, ultime étape de la balade « albinienne ». Logé dans un ancien couvent, ce musée est un projet posthume. Quoique entièrement dessiné par Franco Albini, il n’a été réalisé qu’après sa mort, en 1977. Le travail y est prodigieux. Rigueur et précision. On ne peut qu’admirer la qualité des détails et, une fois encore, des diverses manières de montrer une œuvre, dont certaines ont, sans doute, été jugées trop originales, sinon hardies. Transférée du Palazzo Bianco, l’élévation animée de Marguerite de Brabant par Giovanni Pisano a perdu, en cours de route, son socle à vérin qui la faisait monter et descendre. Dommage !
Palazzo Rosso
Ouvert en 1677, ce musée accueille une remarquable collection de tableaux, ainsi que des meubles historiques de la famille Brignole-Sale. Les espaces, spectaculaires, ont été décorés par les plus grands peintres génois des XVIIe et XVIIIe siècles. Les salles des Saisons, avec leurs fresques signées Gregorio de Ferrari et Domenico Piola, font partie des œuvres les plus représentatives du baroque génois. La collection arbore des chefs-d’œuvre d’artistes aussi bien italiens – le Véronèse, Procaccini, le Guerchin… – qu’étrangers – Dürer, Van Dyck, Rigaud…
Via Garibaldi, 18, www.museidigenova.it
Museo del Tesoro di San Lorenzo
Conçu en 1956, ce minuscule musée renferme des pièces d’une valeur artistique exceptionnelle, liées autant au culte de la cathédrale qu’à l’histoire de Gênes. Ces chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, d’argenterie et d’art sacré – l’espace étant très petit, la sélection est pointue – datent du XIe au XIXe siècle. Parmi les objets les plus significatifs, on trouve, entre autres, le Sacro Catino, la Croix byzantine des Zaccaria et l’Arche des cendres de saint Jean-Baptiste.
Piazza San Lorenzo, www.museidigenova.it
Le Palazzo Bianco
Ce palais du XVIe siècle fut reconstruit en 1711 pour les Brignole-Sale, lesquels le léguèrent à la ville en 1884. C’est aujourd’hui la principale pinacothèque de la Ligurie et elle déploie des trésors, essentiellement des œuvres du XVe au XVIIIe siècle. On y trouve des Flamands – Rubens, Van Dyck, Memling… –, des Italiens – Lippi, le Caravage, le Véronèse… –, des Espagnols – Zurbarán, Murillo… –, sans oublier, évidemment, une flopée d’artistes génois – Cambiaso, Strozzi, Assereto, Borzone, Fiasella…
Via Garibaldi, 11, www.museidigenova.it
Museo di Sant’Agostino
C’est dans ce couvent construit au XIIIe siècle que Franco Albini a imaginé l’une de ses muséographies génoises les plus emblématiques. On y trouve des peintures, des sculptures ainsi que des éléments d’architecture datant du Xe au XVIIIe siècle. Parmi les artistes phares de la collection : Schiaffino, Valerio Castello, Domenico Piola, Luca Cambiaso ou Parodi, ainsi que des chefs-d’œuvre signés Pierre Puget et Giovanni Pisano, dont, pour ce dernier, le fameux vestige du Monument funèbre à Marguerite de Brabant, daté d’environ 1313.
Piazza di Sarzano, 35r, www.museidigenova.it
Depuis une dizaine d’années, les pères du design transalpin ont le vent en poupe, réapparaissant avec force en salles des ventes et autres foires spécialisées. Point commun de toute cette production : un savant cocktail entre un esprit moderne et un certain sens de la tradition, non pas comme référence stylistique aux siècles passés, mais, par exemple, dans la manière subtile d’assembler les matériaux, méthode considérée comme spécifique à l’Italie. Spécialisé dans les créateurs italiens de la moitié du XXe siècle et expert de Franco Albini, le galeriste Marc-Antoine Patissier (HP Le Studio, Paris) avance, lui, une explication : « Les décorateurs français des années 1940, comme Jean-Michel Frank, Jean-Charles Moreux ou André Arbus, ont souvent agrémenté leurs aménagements de lustrerie italienne, en particulier vénitienne. Et depuis l’engouement pour les années 1940, qui date d’une vingtaine d’années, le regard des marchands s’est logiquement tourné vers la production de ce pays, l’Italie. C’est ainsi que sont ressortis des créateurs comme Carlo Mollino ou Gio Ponti. Mais personne, à l’époque, ne s’intéressait à l’école rationaliste italienne. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour qu’arrivent sur le marché des designers que je considère comme la deuxième génération de cette école rationaliste, tels Franco Albini, Ignazio Gardella et Ico Parisi. » D’Albini, Marc-Antoine Patissier dit qu’il était « l’architecte de la légèreté, de la transparence et de la mobilité » : « Franco Albini aimait se considérer comme un artisan, raconte-t-il. Obstinément, il revenait à l’objet jusqu’à obtenir un résultat en accord avec son dessein, ses idéaux esthétique et pratique, deux notions inséparables pour lui. » Son credo : « Lutter avec la matière pour s’affranchir de son poids et construire un monde délivré de sa pesanteur. »
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La Gênes de Franco Albini
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°657 du 1 mai 2013, avec le titre suivant : La Gênes de Franco Albini