Rétrospective

La comète Keith Haring

L’éternité de l’instant

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2008 - 746 mots

À Lyon, l’exposition consacrée à Keith Haring célèbre un art du plein, fugace
et vivace, dont l’instantanéité s’est gravée dans le temps.

LYON - Le cas Keith Haring (1958-1990), plus complexe et difficile à cerner qu’il n’y paraît, est exposé au Musée d’art contemporain de Lyon, dans une exposition où la diversité de son œuvre, iconographique autant que technique – du papier à la bâche en vinyle, en passant par la toile, le corps, les espaces publics ou les voitures (notamment une BMW Z1, 1989)… – marque la visite.
Universellement connu et toujours vivace, démultiplié sur toutes formes de supports et reproduit à l’infini, son travail est devenu un emblème des clinquantes années 1980, qui virent tant l’ascension des « yuppies » et des « golden boys », que l’explosion d’un marché de l’art flamboyant et l’apparition d’une certaine culture paillettes.
Dans ce contexte, la fulgurance de la trajectoire de ce jeune homme mort du sida à l’âge de 31 ans, devenu de son vivant, au cours des seules douze années de sa carrière, une icône de l’art new-yorkais côtoyant Leo Castelli et Andy Warhol, Grace Jones – dont le corps fut l’un de ses supports – et Madonna – pour qui il est intervenu sur des vêtements –, continue de fasciner.
L’approche de son œuvre est toutefois marquée par une force qui en constitue la faiblesse : l’aspect immédiatement reconnaissable et cette impression tenace d’une perception facile, d’un travail aisé à comprendre, qui à n’en pas douter aura freiné une forme de reconnaissance critique et institutionnelle. Reconnaissance encore entravée par la suspicion manifestée à l’égard du côté commercial d’une pratique rendue accessible à tous les publics, par le biais de la multiplicité de ses formes. Y compris dans les deux boutiques fondées par l’artiste et qui ne peuvent être dissociées de son œuvre : le Pop Shop ouvert à New York en 1986, dans le quartier de Soho, et sa petite sœur tokyoïte (Pop Shop Tokyo, 1988) qui vit le jour deux ans plus tard, et est ici reconstituée dans le parcours.

Écorner les clichés
C’est l’un des mérites de l’exposition de Lyon, que de proposer un large panel des créations et préoccupations de Keith Haring, tout en écornant au passage quelques clichés. À commencer par celui d’une certaine légèreté, voire insouciance du contenu.
La visite du troisième et dernier étage du musée est marquée par une gravité sombre et inattendue. S’y succèdent des œuvres fortes, grinçantes et menaçantes, telle une accumulation de corps apparemment sans vie (Untitled (June 11, 1984), 1984), des anges marqués d’une croix rouge qui forniquent avec des loups (Untitled (June 1982), 1982) ou un visage de démon dont le nez démesuré transperce un corps humain (Untitled, (May 1987), 1987). Sans omettre la série Apocalypse (William Burroughs) (1988), réalisée avec le poète en illustration à l’un de ses textes.
Fortement intéressé par la sémiotique et la calligraphie orientale (dont témoigne une encre très nerveuse de ses débuts (Untitled, 1978)), l’artiste a fait reine la ligne continue, contribuant à affirmer avec aisance un goût pour la planéité du dessin et la saturation de l’espace, que les expériences psychédéliques et hallucinatoires auront sans doute renforcé. Toutes caractéristiques qui confèrent aux œuvres une forte homogénéité, et ce quel que soit leur format, qu’il s’agisse, par exemple, d’espaces publicitaires du métro (Subway Drawings, 1982) ou d’une palissade en tôle de plus de 100 mètres de long, dont 36 courent ici sur un mur du musée (Untitled, 1984).
Frappante est aussi la multiplicité des références utilisées par l’artiste, navigant sans cesse entre les civilisations anciennes (égyptienne, précolombienne…) et une fascination certaine pour les théories de l’information, qui le conduisent vers l’évocation de l’informatique, de la télévision et du multimédia et parfois combine tous ces aspects (Untitled, 1983).
Discriminations, racisme, oppression du pouvoir économique, acculturation, puissance des médias, revendications des minorités sexuelles (l’absence d’évocation de l’homosexualité, pourtant très présente dans son œuvre, est l’un des indéniables manques de l’accrochage), attention portée aux enfants, lutte contre le sida… Keith Haring aura laissé une empreinte indélébile et originale sur nombre de questions politico-sociales. De ce parcours lyonnais ressort l’impression d’une carrière brûlée à toute allure, dont l’immédiateté, la spontanéité et la rapidité d’exécution ont finalement permis d’inscrire l’instant dans le temps long.

KEITH HARING, jusqu’au 29 juin, Musée d’art contemporain, Cité Internationale, 81, quai Charles de Gaulle, 69006 Lyon, tél. 04 72 69 17 17, www.moca-lyon.org, mercredi-vendredi 12h-19h, samedi-dimanche 10h-19h. Catalogue, co-éd. MAC Lyon/Skira, 370 p., 75 euros, ISBN 2-906461-76-8.

KEITH HARING
- Commissariat : Gianni Mercurio, commissaire indépendant - Nombre d’œuvres : environ 250 - Surface d’exposition : 2 800 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°278 du 28 mars 2008, avec le titre suivant : La comète Keith Haring

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