« Le bleu apaise et calme en s’approfondissant. En glissant vers le noir, il se colore d’une tristesse qui dépasse l’humain, semblable à celle où l’on est plongé dans certains états graves qui n’ont pas de fin et qui ne peuvent pas en avoir […]. À mesure qu’il s’éclaircit, le bleu perd de sa sonorité, jusqu’à n’être plus qu’un repos silencieux, et devient blanc. » Lorsque le peintre russe Vassily Kandinsky (1866-1944) a le blues, la musique s’invite dans sa peinture.
En 1910, alors qu’il vient d’avoir la révélation de l’art abstrait, c’est en empruntant des termes à l’univers de la musique qu’il imagine dans son ouvrage Du spirituel dans l’art une répartition de ses toiles en « Impressions », « Improvisations » et « Compositions ». Ces termes-là, le pianiste finlandais Kari Ikonen les a utilisés à son tour pour donner son titre à son dernier album solo. Pour la pochette, il a justement choisi de reproduire la toile Blue (1922). S’appuyant sur la démarche du peintre, il explique ainsi ce classement : « Les Improvisations étaient les expressions spontanées d’une humeur ou d’un sentiment, les Impressions étaient des improvisations aussi, mais qui subissaient des influences externes, telles que la musique ou la nature. Les Compositions, enfin, étaient également des visions intérieures, mais conçues de manière plus consciente. » Et plus complexe, ce qu’on pourrait rapprocher, sur le plan musical, de la symphonie. Le pianiste n’est pas le seul jazzman à avoir puisé son inspiration chez le peintre russe, l’intrépide multi-instrumentiste Anthony Braxton l’a fait aussi dès les années 1980, associant quatre de ses albums, dont Black Relationship et Blue Segment,à des toiles du peintre qu’il estime être le proches proche de lui. Il voit des couleurs lorsqu’il joue, Kandinsky entendait des sons lorsqu’il peignait. Kandinsky voyait la musique, grâce à cette étonnante capacité appelée synesthésie, qui permet à ceux qui en sont dotés d’associer au moins deux de nos cinq sens. Pour Kandinsky, c’était la vue et l’ouïe (au moins), et donc la peinture et la musique : « Les couleurs sont les touches d’un clavier, les yeux sont les marteaux, et l’âme est le piano lui-même, aux cordes nombreuses, qui entrent en vibration. » Le peintre était aussi musicien, c’était même sa vocation première. Violoncelliste, puis pianiste, il est resté toute sa vie un immense passionné de musique, ami notamment du compositeur autrichien Arnold Schönberg depuis qu’en 1911 il avait découvert une parenté entre leurs œuvres. Schönberg, qui lui aussi était peintre… De l’un à l’autre, à travers les disciplines, et à travers les époques, c’est le génie qui circule.
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Kandinsky, l’improvisation et le jazz
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : Kandinsky, l’improvisation et le jazz