Le jeu vidéo est-il un art ? Depuis une dizaine d’années, et à mesure que s’estompent les frontières disciplinaires, curators, critiques et institutionnels délibèrent ; certains en viennent même à se demander si le genre n’est pas voué à dominer l’esthétique du XXIe siècle.
Avec son penchant pour l’interactivité et la narration, la création numérique contemporaine offre du reste de quoi étayer une telle hypothèse, et désigne le jeu comme une source d’inspiration majeure. De fait, celui-ci a beau ressortir à l’industrie du divertissement, il partage avec la création artistique quelques traits fondamentaux. Parmi eux, la capacité à échafauder un récit, à mettre en images et en sons un univers cohérent, ou encore à mobiliser les affects.
Et puis, si l’on s’en tient aux critères définitoires énoncés par Roger Caillois, les deux disciplines sont également improductives et ne servent donc à rien. Fort de ses similitudes avec la création artistique, le jeu vidéo fait déjà l’objet en Europe et aux États- Unis d’une poignée d’expositions et d’événements dont l’enjeu est aussi bien d’en démontrer l’inventivité que d’en dérouler la jeune histoire (le premier jeu vidéo date des années 1960, la massification des années 1980). Prolongeant une telle entreprise de légitimation, le festival Les Bouillants à la Laiterie de Vern-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) s’intéresse quant à lui à la façon dont les arts numériques investissent ce genre créatif, qu’il s’agisse d’en digérer l’esthétique ou d’en questionner les valeurs et représentations. Pour sa 6e édition, l’événement interroge tout particulièrement la manière dont le jeu s’articule avec le « je » contemporain.
Ce faisant, il révèle les tensions qui s’esquissent dans nos sociétés entre compétition narcissique (stimulée par le jeu) et désir d’une meilleure coopération entre individus et groupes sociaux. Ainsi, les œuvres présentées à Vern-sur-Seiche se distribuent de part et d’autre d’une ligne de partage qui va de l’anomie à l’activisme politique. Dans certains cas, le jeu est par excellence le médium où s’éprouve l’égoïsme contemporain. Dans Golden Calf (« le veau d’or ») par exemple, le duo d’artistes FUR invite le joueur à se glisser dans la peau d’un courtier en bourse pour mieux assimiler les valeurs cardinales de l’homo economicus. Le jeu devient alors une figure de l’entropie – raison pour laquelle on trouve aux Bouillants des jeux sans joueur (GhostPad), d’autres qui s’autodétruisent à mesure qu’on y joue (Hommage à New York de Florent Deloison). À l’inverse, certaines œuvres font du jeu vidéo l’un des leviers de l’engagement politique. C’est le cas de Fort McMoney de David Dufresne. Ce webdocumentaire interactif est une plongée dans l’exploitation des sables bitumineux au Canada. Le dispositif, ludique et « léger », offre de mieux appréhender un sujet complexe. Après tout, le jeu n’est-il pas d’abord un apprentissage du monde et une invitation à l’action ? Dans ces conditions, une approche critique du genre est fondamentale : jeu sans conscience n’est que ruine de l’âme…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Jeu joue, donc jeu suis
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 1er juin 2014. Entrée libre.
Espace numérique nomade, divers lieux en Bretagne.
www.bouillants.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : Jeu joue, donc jeu suis