Lauréat du premier Prix Photo du Jeu de paume, réservé à des photographes de la scène française, Jean-Christian Bourcart (né à Colmar en 1960), qui vit et travaille à New York, a séduit le jury avec deux séries de travaux. Dans Traffic (2003), armé d’un téléobjectif, l’artiste a photographié des New-Yorkais prisonniers de leur voiture, alors que dans Stardust (2006) il explore, depuis une salle de cinéma, une image filmique diluée sur la vitre de la cabine de projection.
Pourquoi avez-vous choisi de montrer les séries Traffic et Stardust pour le Prix Photo du Jeu de paume ?
J’avais déjà montré Traffic à Paris en 2004, chez Léo Scheer, et cela avait été bien reçu, mais je ne voulais pas proposer qu’un travail ancien. Stardust est en cours de réalisation. C’était donc un peu risqué, mais il y a des rapports formels entre les deux séries qui m’intéressent, une sorte d’enchaînement de l’une à l’autre.
La présence d’une vitre est un élément commun aux deux séries. Est-ce voulu ?
Il est ici question d’illusion. Dans les clichés de Traffic, la ville se reflète. On ne sait plus trop ce qui fait partie de la vitre. Les reflets sont un peu comme des masques ou des maquillages pour les gens qui sont derrière. Stardust va plus loin, car le motif est légèrement dissous. Cela évoque une sorte d’abstraction et de simplification de l’image, presque comme si elle devenait un peu commerciale, élémentaire. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on arrive à recomposer une forme, à donner une personnalité. Avec ces petits amas de grain, de lumière, on parvient encore à imaginer quelque chose. Je porte aussi toujours beaucoup d’attention au visage humain, grâce auquel on arrive à se raconter des histoires.
Pour Traffic, comment vous est venue cette idée d’attendre dans la rue et de photographier les gens dans leur voiture ?
Je cherchais depuis longtemps une façon de traiter l’automobile qui, aux États-Unis, évidemment, est omniprésente dans la culture. J’ai été choqué par le contraste entre la publicité qui présente une image d’évasion, de liberté, et d’un autre côté des embouteillages à n’en plus finir, des gens coincés dans leur petite boîte. Quand j’ai commencé à les photographier, c’était un geste assez violent et provocateur que de braquer l’objectif sur eux. Provocation et transgression sont des choses qu’on retrouve souvent dans mon travail. Ce qui est devenu intéressant, c’est le moment de la confrontation entre eux et moi les photographiant.
Le procédé est très direct et intrusif, mais quelles sont les raisons qui à un moment précis vous enjoignent à prendre la photo ?
Je dirais que c’est un peu entre la chasse et la pêche ! Je suis à l’affût, mais il faut que ça vienne à moi. Il s’agit vraiment d’un jeu avec le flux des voitures, et ensuite, je regarde effectivement les gens dans leur habitacle, ce qui est un acte inhabituel. Quand je pense vouloir quelque chose, je dois lever mon appareil avant de croiser les yeux de la personne, sinon le cliché est beaucoup plus difficile à faire. Quand la personne me voit, je suis déjà prêt à la saisir. C’est une impression très fugace. Les femmes s’abandonnent plus facilement, les hommes ont plus tendance à se cacher, mais aussi à tenter de regarder ce que je fais.
Ce travail est-il réalisable dans une autre ville ?
J’ai tenté de le faire ailleurs, à Paris, à Berlin… Je n’y suis pas parvenu, ça ne marchait nulle part ailleurs. Il y a quelque chose de spécifique à New York, une diversité qui dépasse le cliché qu’on se fait des Américains.
À travers le cinéma, Stardust s’attache à un autre élément important de la culture américaine.
Les énormes multiplexes américains sont fascinants. De nos jours, on se dit que c’est le temple du divertissement et en même temps on imagine des gens, dans des bureaux d’études, qui ont dessiné ces endroits très laids. Je trouvais subjuguant d’être tout seul, à 10 heures du matin, dans une salle de 300 places. J’ai commencé à faire des découpes dans des papiers et à les placer devant le faisceau, puis j’ai tenté de photographier cette image-là, la vitre à travers laquelle passe le faisceau de projection.
Dans cette série, avez-vous cherché à exprimer votre goût pour le fantomatique ?
Plutôt pour la tension montrée, car il y a là comme un leurre, un piège visuel où le spectateur est pris dans un mouvement d’attirance. C’est le gouffre de la représentation. Je crois vraiment, comme le disent les bouddhistes, qu’on peut se raconter que tout est illusion. J’arrive très bien à me dire que je ne vois pas vraiment de différence entre l’état de veille et celui du rêve.
Jean-Christian Bourcart exposera avec Jürgen Nefzger, lauréat du Prix Public du Prix Photo du Jeu de Paume, du 24 avril au 3 juin 2007, au Jeu de paume, Hôtel de Sully, 62, rue Saint-Antoine, 75004 Paris, www.jeudepaume.org. A voir : www.jcbourcart.com
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Jean-Christian Bourcart
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Jean-Christian Bourcart