Valérie Mréjen révèle au Jeu de paume, à Paris, les paradoxes du langage à travers
un vaste ensemble de vidéos où sont rejouées les scènes de la vie ordinaire
PARIS - « Pfff… Ça m’a échappé, tu sais bien, je ne le pense pas… Tu prends tout au pied de la lettre, toi, hein, imbécile… » (Anne et Manuel). À l’exemple de cette tirade, Valérie Mréjen a choisi « la place de la Concorde », titre de son exposition, pour mettre en scène les discordes qui occupent l’espace privé. Les vidéos (de 1997 à 2008) présentées au Jeu de paume, à Paris, rejouent l’incompréhension qui mine la communication au sein du groupe, de la famille, du couple. Dans le répertoire des formules d’usage, politesses (Au revoir, merci, bonne journée) et autres lieux communs qui consistent à parler pour ne rien dire, l’artiste pointe les excès de forme caractéristiques du discours : « Bon. Je crois qu’à ce moment-là, il faudrait établir une ligne générale qui va servir de squelette, et à partir duquel pourront se greffer les propositions » (Le projet). L’absurdité est le personnage principal de ces dialogues de sourds, de ces interrogatoires rhétoriques. L’artiste révèle les paradoxes du langage : plus on parle et moins on en dit, plus la question est intime – « à quoi rêves-tu ? » (Voilà, c’est tout) –, plus la réponse sera impersonnelle, commune, comme si l’énonciation à la première personne s’éloignait de l’identité, comme s’il était impossible de parler de soi.
Dans ses livres comme dans ses vidéos, Valérie Mréjen procède à une déconstruction méthodique du langage qui suit le même protocole : phrases courtes, petites séquences, prise de vue frontale, cadrage serré, style et décor dépouillés. La transposition en texte du vécu – le sien dans ses livres, ou celui des autres dans ses portraits filmés (tous fidèles à un script) – supprime tout pathos ou émotion liés au souvenir du récit familial tragique. La répétition, imposée aux acteurs avant la prise, mais aussi celle du mot dans une même phrase (Sympa), vide la parole de son contenu, dénature le discours pour n’en garder que le texte. Le procédé invite à une relecture sociologique structurée par le texte : comme au théâtre, celui-ci définit le personnage, il construit son locuteur. Ainsi la progression, dans Bouvet, de « Qu’est-ce que tu racontes de beau ? » à « T’as rien à dire. Minable » façonne-t-elle petit à petit le visage de l’acteur. Nous serions tous les interprètes d’un texte imposé par les normes sociales, les acteurs d’un jeu de société : « Toutes ces années, j’ai joué la comédie » (Capri).
Vidé, dépouillé, extrait, le texte devient le matériau plastique du travail de Valérie Mréjen, se prêtant à tous les jeux de découpage et de collage, ainsi dans le livre Liste Rose, qui énumère des petites annonces salaces composées à partir des noms propres de l’annuaire. Le texte qui atteint son « degré zéro » peut être transposé d’une situation à une autre ou encore partagé par plusieurs personnes (chacun peut se reconnaître dans la liste des choses que Je ne supporte pas). C’est peut-être le fin mot de toutes ces petites histoires : le rire partagé, que suscitent souvent les vidéos de Valérie Mréjen, qu’elles évoquent une anecdote bénigne ou le rejet douloureux d’une communauté religieuse (Pork and Milk), n’est-il pas le premier signe d’une connivence, de la compréhension de l’autre au-delà des différends et des différences ?
VALÉRIE MRÉJEN, LA PLACE DE LA CONCORDE, jusqu’au 15 juin, Jeu de paume – Site Concorde, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, mardi 12h-21h, du mercredi au vendredi 12h-19h, le week-end 10h-19h, wwwjeudepaume.org. Catalogue, Ping-Pong, coéd. Jeu de paume/Allia.
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Je de société
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Abonnez-vous dès 1 €Nombre d’œuvres : 19 dont 5 sont produites pour l’exposition ; 16 vidéos, 2 extraits de lectures, 1 diaporama, 1 installation (textes et photographies)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : Je de société