« Les vies de dingues », celles « des gens qui n’ont pas peur », « des hypersensibles mais durs à cuire », et aussi celles de « tous ceux qui ont une pensée » : voilà ce qui transporte Hélène Delprat.
De ces transports qui l’ont conduite aux actrices Nicole Stéphane – qui fut l’amante de Sontag – et Édith Scob – les fameux « yeux sans visage » de Franju –, héroïne de sa dernière exposition à la Maison d’art Bernard Anthonioz. Hélène Delprat, artiste, documentariste aussi, est un être à part. Un être rare qui passe aujourd’hui de la peinture au théâtre et à la réalisation radio – le documentaire lui sert, dit-elle, de contrepoids à tout éventuel excès d’ego –, elle qui commença si brillamment par la peinture, en peignant, « dans un romantisme effréné », la nuit. « C’était absurde », rigole l’artiste. Mais cela, c’était avant. Avant de quitter brusquement la Galerie Maeght au mitan des années 1990, alors même que l’ancienne pensionnaire de l’Académie de France à Rome (au temps où Balthus rôdait encore dans les murs) était placée parmi les artistes les plus en vue de sa génération. Avant, donc, que l’artiste-peintre ne décide de disparaître des radars de la création, pendant près de quinze ans. Sa « phase sous-marine ».
La boule à zéro
Rentrée dans les années 1980 à la Galerie Maeght parce qu’il y avait Gasiorowski, elle ne s’y voyait donc plus faire « une exposition tous les deux ans ». « Trop plan-plan, trop confortable » pour elle. « Et puis, j’avais autre chose à faire, à chercher. » Fin du rêve romantique. Elle avoue qu’elle n’en mesurait pas vraiment les conséquences : « Je suis sortie du circuit. Je ne savais même plus où étaient les galeries à Paris. » Elle continue de travailler, mais déplace son intérêt vers ce qui était enfoui chez elle : le décor et les costumes de théâtre, la production, le cirque, les maquettes… Au début des années 2000, elle refait (un peu) surface à l’école d’art de Cergy, où elle enseigne : « Une bouffée d’air. » Et puis le regard des autres se pose de nouveau sur son travail. Petit à petit. Un jour, c’est un ami qui lui dit : « Arrête tes conneries Hélène, il faut que tu montres ton travail. » Un autre jour, c’est Dominique Païni qui l’appelle pour voir ses vidéos. Le lendemain, c’est Antoine de Galbert qui lui témoigne de la considération. Jusqu’au jour où, en 2010, Christophe Gaillard, son galeriste aujourd’hui, lui rend visite à son atelier et l’invite à le rejoindre, « convaincu, défend-il, qu’Hélène Delprat est l’une des plus grandes artistes françaises ».
Mais Hélène Delprat prend (encore) le temps. Un an. Temps des paliers de décompression sans doute. Elle accepte finalement la proposition du marchand, et puis, « cela redémarre, tout d’un coup tout change ». Delprat refait surface. Non pas l’artiste-peintre que l’on avait vue chez Maeght, mais la nouvelle Delprat, boule à zéro, curieuse et touche-à-tout, maniant désormais les images et les voix – la sienne est, au passage, envoûtante –, les vies des autres comme la sienne, les livres et, bien sûr, toujours la peinture. Depuis la rentrée, l’artiste reprend même du service dans l’enseignement, à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris où elle a repris l’atelier de dessin de Bernard Moninot. Excusez du peu. Regrette-t-elle certains choix ? Rien de rien : « Je suis privilégiée puissance 40 000 de faire ce que je fais. » Un privilège qu’elle veut transmettre aux artistes en herbe qui passeront par son atelier, à qui elle promet de dire : « Bougez-vous, mesurez votre chance et, surtout, ne vous soumettez pas ! »
1957
Naissance à Amiens
1982-1984
Pensionnaire à la Villa Médicis, à Rome
1995
Quitte la Galerie Maeght
1994-2014
Création de films courts présentés au Jeu de Paume, à la Maison rouge…, de costumes et de scénographies
2010
Renoue avec une galerie, celle de Christophe Gaillard
2013
« Comment j’ai inventé Édith Scob »
2014
« Fair is Foul and Foul is Fair » à la Galerie C. Gaillard (Paris) et à la Maison d’art Bernard Anthonioz (94)
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Hélène Delprat - Retour à la surface
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : Hélène Delprat - Retour à la surface