Graphisme

Graphisme « Il y a un énorme effort à faire en France »

Par Christian Simenc · lejournaldesarts.fr

Le 18 septembre 2017 - 1026 mots

PARIS [18.09.17] - Rik Bas Backer commente la situation du graphisme en France à l’occasion du congrès annuel de l’Alliance graphique internationale qui se tient cette année à Paris du 18 au 22 septembre.

Après Séoul, l’année passée, et avant Mexico, l’an prochain, l’Alliance graphique internationale (AGI) tient son congrès annuel, à Paris, du 18 au 22 septembre. Habituellement réservées aux professionnels, des séances sont pour la première fois ouvertes au public dans quatre lieux-phares de la capitale : le Théâtre de l’Odéon, la Maison de la Radio, l’École nationale supérieure des arts décoratifs et le Palais de Tokyo. Rik Bas Backer, graphiste du tandem parisien Change is good, membre de l’AGI depuis 2010 et co-organisateur de ce congrès 2017, a livré au JDA les dessous de cet événement de portée mondiale.

Que représente ce « club » international de graphistes, composé, à ses débuts, de 65 membres venus de 10 pays ?
Initiée par un groupe de professionnels français et suisses, l’Alliance graphique internationale a été constituée en 1952, à Paris, avec pour objectif une réflexion sur le métier en regard de la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. En clair : il s’agissait d’évaluer comment le graphisme pouvait se mettre au service des « bonnes causes » et d’agir en conséquence. L’idée était aussi que les graphistes du monde entier puissent partager leurs intérêts communs et échanger sur leurs travaux respectifs. Aujourd’hui, l’AGI comporte pas loin de 500 membres, issus de 39 pays. Pour ce congrès parisien, quelque 160 devraient être présents, auxquels s’ajoute une quarantaine d’invités.

Ce « club » augmente par cooptation. Combien y a-t-il d’entrants par an ?
Entre 15 et 30 nouveaux membres sont accueillis annuellement, après avoir présenté leurs travaux devant un jury. À Paris, ils seront désignés le dernier jour de la manifestation, celui dédié justement au congrès, soit le 22 septembre, au Centre Pompidou.

Quelles sont les « pointures » invitées cette année ?
Des graphistes de renom vont faire le déplacement, à commencer par l’Américain Lance Wyman, 80 ans, qui a conçu l’identité graphique des Jeux olympiques de Mexico, en 1968, un projet qui, à l’époque, avait bénéficié d’une réelle intégration sociale. Ou le Britannique Ken Garland, 88 ans, dont on connaît le fort engagement social, notamment auprès des enfants. À l’autre extrémité de la pyramide des âges, on peut citer l’Espagnol Javier Jaén, membre de l’AGI depuis 2015 seulement, mais dont le travail, en particulier pour la presse, est éblouissant. Le Japonais Masaaki Hiromura, le Letton Igor Gurovich ou le Suisse Ralf Schraivogel, ainsi que les Sud-Coréens Na Kim et Ahn Sang-soo seront également de la partie.

Quel est le thème choisi cette année pour les débats d’avant-congrès et comment l’avez-vous choisi ?
Nous avons eu, par le passé, des thématiques, comme « Le Paradis et l’enfer » ou « L’Amour », qui étaient davantage destinées à, disons, « colorer » le congrès. Nikki Gonnissen (de l’agence amstellodamoise Thonik, NDLR), présidente internationale de l’AGI depuis 2015, a souhaité revenir aux préoccupations originelles de l’association, en l’occurrence des sujets « utiles », qui touchent tout le monde. D’où le thème de cette année, intitulé « Frontières : Hier, Aujourd’hui, Demain ». Il touche à la fois notre profession et, d’une manière plus générale, le grand public. Dans le monde d’abord, se pose aujourd’hui de manière accrue la question des frontières. On se rend compte, en particulier en Europe, que l’on a mis des années à les consolider et, au final, elles se désagrègent ou se durcissent, c’est selon, à vitesse grand V. Prenez les flux migratoires ou le Brexit, au Royaume-Uni.

Chez les graphistes aussi, les frontières se font plus floues. Avant, il y avait des disciplines bien définies, comme l’impression ou la photocomposition. Aujourd’hui, en France, certains graphistes ont des formations d’artistes-plasticiens, d’autres intègrent de nouvelles disciplines comme le « motion-design ». D’aucuns sont free lance, d’autres œuvrent dans des petites ou moyennes structures. Bref, le métier est en pleine mutation.

Avez-vous le sentiment que le graphisme est encore un domaine méconnu en France, alors qu’il se distille quotidiennement dans l’espace public ?
Le problème est que le métier de graphiste est complexe. Depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, voire bien avant encore, avec les Chinois, il mêle à la fois des connaissances techniques et culturelles. Or, pour le public, il est toujours plus aisé de faire une distinction entre une activité technique et une activité artistique. En France, en outre, le métier n’est pas protégé, au contraire de celui d’avocat ou d’architecte, qui sont régis par un Ordre.

Quels sont les pays où le graphisme a davantage droit de cité ?
Historiquement, la France a toujours privilégié les Beaux-Arts au détriment des Arts décoratifs. À contrario, le Modernisme, par exemple, a davantage pris racine dans des pays comme l’Allemagne, la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas. Conséquence : c’est dans ces pays aujourd’hui que le graphisme est plus identifié. Mais ce n’est pas étonnant. Un exemple : Dès après-guerre, aux Pays-Bas, l’office des postes néerlandaises a décidé que le timbre pouvait devenir un outil de promotion du pays et ils ont invité des graphistes à en dessiner. Idem avec les billets de banque. Ces expressions graphiques étaient, de fait, visibles de toute la population et sont entrées dans la culture. C’était une manière aussi de démocratiser et de partager l’information. Bref, le graphisme devenait d’utilité publique.

Y a-t-il des domaines dans lesquels le graphisme peut encore agir ?
Oui, une multitude ! Et la France regorge de talents aguerris et de bonnes écoles. Dans mon agence, par exemple, nous travaillons depuis quelques années pour la revue Les Cahiers du cinéma. Le cinéma est un domaine éminemment créatif. Or, en France, aussi étonnant que cela puisse paraître, rares sont les affiches de films conçues par des graphistes. Même celle du Festival de Cannes ne l’est pas. Pourtant, c’est une manifestation qui, côté sélection, se permet de faire des choix parfois osés. Pourquoi les organisateurs n’auraient-ils pas la même audace quant à l’affiche du Festival ? Bref, il y a un énorme effort à faire en France. Nous espérons que ce congrès y participera.

Légende photo

Affiche du congrès de l'Alliance graphique internationale, photo : AGI

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