Une horloge composée de deux pailles de balai (La vida no vale nada, 2012), un disque vinyle dont seul s’entend le son émis par la boucle finale (The Eternal Return (...Cuando Lloran Los Hombres), 2012) et l’image typique d’un cavalier enserrant son propre cheval dans un lasso (Trou noir, 2012)… En seulement trois œuvres très mélancoliques, Gonzalo Lebrija (né à Mexico en 1972) évoque à la galerie Laurent Godin, à Paris, le passage du temps et le Mexique d’aujourd’hui.
Frédéric Bonnet : On relève souvent dans votre travail un va-et-vient entre des travaux marqués par des moments figés, ainsi du cavalier dans la photo Trou noir, et d’autres comportant de très légers mouvements. Voyez-vous les choses ainsi ?
Gonzalo Lebrija : Une grande part de mon travail vient de l’évocation cinématographique. Dans la photographie, j’aime la manière dont le moment est en quelque sorte arrêté, mais je tente toujours d’établir une narration dans les images. Dans les installations autant que dans les photos ou les films, je joue systématiquement avec des détails minimes qui vont dans le même sens. Toute cette exposition traite du temps et ces œuvres, quoique très différentes, parlent de la même chose. Par l’utilisation de différents médias, le même sujet est évoqué à travers des langages différents et les propos tenus en sont beaucoup plus forts.
F. B. : À propos du temps, le titre Trou noir m’évoque la difficulté à se positionner face au temps…
G. L. : J’aime cette idée du trou noir où vous pouvez entrer dans le temps par un endroit et en sortir par le même endroit. D’une certaine manière, vous pouvez donc être « attrapé » dans votre propre temps. C’est ce que manifeste ce titre. Le cavalier fait ce tour lorsqu’il est à l’intérieur du trou, et il tente de s’y diriger sans en sortir. Il est tout juste attrapé dans son propre temps qui a été créé par lui-même. Et avec le disque est utilisée cette boucle finale ; The Eternal Return, c’est comme la fin de la partie ou de la célébration, et en même temps, quelque chose devient continu. Il n’y a pas de voie de retour, c’est une fois encore comme être condamné à vivre le temps.
F. B. : Souhaitez-vous installer le doute dans l’image et la situation ?
G. L. : Peut-être suis-je plus intéressé par le fait d’essayer de configurer le doute que de tenter de le déverrouiller.
F. B. : Cela signifie-t-il « laisser les situations ouvertes » ?
G. L. : Bien entendu, laisser les situations ouvertes jusqu’à un certain point permet d’ouvrir les possibilités de références et d’identifications, c’est là l’esprit de mon travail. Je me sens beaucoup plus à l’aise lorsque les symboles ou les icônes deviennent universels.
F. B. : Dans nombre de vos images, on perçoit comme une ambivalence avec un réel glissant légèrement vers l’irréel…
G. L. : Absolument, il y a une friction entre fiction et réalité d’une certaine manière. J’aime vraiment faire des choses physiques, au lieu de créer un effet de science-fiction. Les choses qui se produisent dans le monde se produisent physiquement. Ce n’est pas un effet… J’essaye d’être très mécanique, analogique. Les photos et les films sont souvent utilisés pour documenter des actions, et mon travail porte sur l’action et la manière de travailler avec l’action.
F. B. : Les trois œuvres sont toutes liées au Mexique et à la culture populaire. Pourquoi utiliser encore des archétypes ?
G. L. : Mon travail porte sur ma relation au monde et à ma réalité, mais ne traite pas d’un pays ou d’une culture spécifique. Cas particulier, j’ai pris ici le Mexique pour sujet car ce que nous vivons actuellement affecte beaucoup la population, la société ou mon contexte émotionnel. La vulnérabilité et le pouvoir m’intéressent autant que ma perception et ma propre progression.
F. B. : Diriez-vous qu’il s’agit d’un commentaire politique de la situation actuelle au Mexique ?
G. L. : Je ne prétends pas faire directement un commentaire politique car ce n’est pas la manière dont je travaille, mais il s’agit ici, in fine, d’une exposition politique car tout vient d’une situation politique par laquelle je suis affecté. C’est une manière d’y répondre, ce n’est pas une déclaration politique.
Jusqu’au 7 avril, Galerie Laurent Godin, 5, rue du Grenier-Saint-Lazare, 75003 Paris, tél. 01 42 71 10 66, www.lau rentgodin.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.
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Gonzalo Lebrija : « Il y a une friction entre fiction et réalité »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Gonzalo Lebrija : « Il y a une friction entre fiction et réalité »