« Né à Cholet. Vit et travaille à Cholet. Mort à Cholet. » L’humour affûté, l’artiste nous fait visiter son atelier installé sous les combles de sa belle bâtisse… choletaise.
C'est une grande maison toute simple, comme celles que dessinent les enfants. Un rectangle, cinq portes-fenêtres en bas, cinq fenêtres en haut, trois chiens-assis et un grand toit d’ardoises grises flanqué de part et d’autre d’une grande cheminée. Une grande maison entourée d’un joli parc ceint tout du long d’un petit mur qui permet à ses habitants d’y vivre tranquillement à l’abri des regards indiscrets. Une bâtisse aux allures de maison de maître, comme on dit, mais qui n’en a que l’apparence.
Construite après la Seconde Guerre mondiale en bordure de la ville de Cholet, dans le Maine-et-Loire, la maison que Danielle et François Morellet ont achetée en 1956 s’y trouve aujourd’hui quasiment en plein centre. Elle n’a rien d’historique sinon que celui qui y vit et travaille depuis plus d’un demi-siècle y construit une œuvre qui l’est déjà et qui figure au panthéon de l’art géométrique construit.
C’est une grande maison toute simple dont le hall d’entrée a été peint en jaune, façon salle à manger de Monet, suite à la visite que les Morellet ont faite un jour au maître de Giverny. Jadis un magnifique perroquet y accueillait d’un ton goguenard les visiteurs. À gauche s’ouvre un vaste salon aux murs peints en gris, au mobilier classique et confortable, avec cheminée et piano, où s’impose une immense bibliothèque tout en longueur dont les vitrines éclairées recèlent toute une collection d’objets poissons, aveu de l’irrépressible passion de Morellet pour la pêche.
Le salon jouxte, sur l’extérieur, une petite serre envahie par une végétation tropicale. À droite du hall d’entrée se trouve la salle à manger, murs blancs, rideaux bleu roi et nantie d’une grande cheminée au manteau entouré de carreaux de Delft. Tandis qu’au beau milieu de la pièce prend place une grande table dont l’épais plateau est en ardoise, tout un lot d’œuvres plus ou moins anciennes du maître de céans rythment les murs. Sur l’arrière de la maison, au pied de l’escalier qui monte aux étages, se trouve un premier petit bureau, « celui des amis » tient à préciser Morellet ; les murs sont tapissés d’œuvres achetées ou échangées avec d’autres artistes : il y a là pêle-mêle et à touche-touche Albers, André, Bill, Honegger, Knifer, Molnar, Mosset, Vasarely, Venet, etc., et même deux petits tableaux de… Serge Lemoine !
Dans le cerveau de l’artiste
Passé le premier étage entièrement privatif, on accède à celui qui se trouve sous les combles. C’est là que l’artiste, quand il s’est installé en 1957, a établi son atelier. Là où il travaille à la conception de ses œuvres. Là qu’il passe son temps à faire des dessins, des collages, des pliages, des petites maquettes, qui sont autant de pièces en devenir. L’espace est totalement envahi par toute une masse de documents qui s’entassent sur les deux grands plateaux qui servent de tables. À se demander comment il s’y retrouve tant il y en a partout et sens dessus dessous. On a comme l’impression d’entrer dans le cerveau de l’artiste, d’y suivre les lacis de ses réflexions, de ses prises de décision, de ses repentirs. Étonnante vision en vérité que celle d’un capharnaüm d’où sort paradoxalement une œuvre d’une extrême radicalité.
Dans cette pièce au plafond de laquelle sont suspendues quelques-unes de ses plus vieilles œuvres, jeux de construction en bois en forme de boule grillagée, et où sont accrochées aux murs toutes sortes de projets aux images déclinées de lignes, de carrés, de cercles et de triangles, François Morellet va et vient comme un poisson dans l’eau. Il est dans son élément, celui d’une profusion à la création tous azimuts.
Le visage réjoui, toujours prêt à faire un bon mot – c’est un émule de Jarry –, Morellet conte ses mille et un projets : pour la façade du musée de Bochum en Allemagne, un pays qui a très tôt reconnu son talent ; pour le musée du Louvre, mais chut ! il ne peut pas en dire plus ; pour le musée de Rouen qui lui a commandé une interprétation de sa Cathédrale de Rouen de Monet, à l’instar de ce que l’artiste avait montré au musée d’Orsay dans le cadre du programme Correspondances, etc.
À quatre-vingt-deux ans passés, François Morellet montre le même enthousiasme qu’au premier jour de sa longue et magnifique carrière. Malgré quelques ennuis de santé qui l’ont bien secoué, il lance d’un ton goguenard à propos de la ville qui l’a vu naître : « Né à Cholet, vit et travaille à Cholet, mort à Cholet » !
Mais non, il n’en est rien, l’artiste est en forme et se plaît à en faire voir à toutes les formes possibles. Il n’est que de le suivre dans cette visite d’un jour pour découvrir l’incroyable organisation dont il s’est doté pour faire tourner la machine. Une véritable entreprise. Il est vrai qu’il a de qui tenir puisqu’il est né dans une famille d’industriels, spécialisés dans la fabrication de landaus et de jouets pour enfants. À ce propos, Morellet aime rappeler les trois dates qui ont compté pour lui : « 1926, celle de ma naissance ; 1946, celle de mon mariage ; 1976, celle de l’année où j’ai définitivement arrêté de diriger la firme familiale pour me consacrer exclusivement à mon art. »
Les pièces ? Des galeries d’art !
Tout à la fois secrétariat et centre de documentation sur le travail de l’artiste, les deux pièces qui jouxtent l’atelier de conception et où travaille une personne à plein temps sous la direction de Danielle, son archiviste, comportent d’interminables rangées de classeurs, des rayonnages encombrés de catalogues et de dossiers, des bacs à fiches métalliques – vieux souvenirs de l’usine ! – classées par années. Et comme un rappel du temps passé, deux petits tableaux de 1945, dans un style Dufy des années 1930, sont accrochés au mur figurant la vue que l’artiste en herbe avait d’une chambre jadis occupée rue de Rivoli sur la place de la Concorde et le Jeu de Paume, où il exposera cinquante cinq ans plus tard !
Si la maison des Morellet paraît grande, c’est qu’elle s’est vue affublée au fil du temps de vastes espaces adjacents, clairs et nets, pour servir à l’artiste d’atelier de fabrication et de lieu de présentation où il peut tout à sa guise expérimenter et tester ses œuvres. À la tâche, il est non seulement aidé de son fils Frédéric, mais aussi depuis vingt ans d’un fidèle assistant, Philippe L., qui n’a pas son pareil pour trouver les solutions techniques adaptées à sa demande. Et ce sont de longs échanges entre eux pour discuter du choix d’un type de matériau, de la qualité d’un système d’accrochage, du placement idéal d’une œuvre, etc. Ce dernier est en train de fixer neuf vieux tableaux de 1969 en vue de leur présentation dans une exposition. Morellet entre dans l’atelier, Philippe L. lui explique comment il s’y est pris pour les solidariser. L’artiste regarde, opine de la tête et passe dans les pièces voisines.
Les pièces ? Une vraie galerie d’art contemporain, genre white cube, aux cimaises desquelles sont accrochées toutes sortes d’œuvres en cours de travaux et en attente de vérification par l’artiste. Ici, un Lamentable fait de tubes de néon rouge qui semble tomber du plafond haut de dix mètres. Là, un travail tout récent en forme de diptyque : d’un côté, un jeu de lignes aléatoires qui se croisent et tracent en surface comme une trame ; de l’autre, le peintre a repris le même schéma géométrique, mais a transformé les lignes en grosses bandes de couleur noire engendrant l’image d’un monochrome. Ici, un premier essai non satisfaisant de modélisation en néon de la structure du tableau de Monet pour le musée de Rouen. Là, une de ces imposantes sculptures en médium vernissé au titre générique de Beaming π jouant sur le double sens du mot, « rayon » et « poutre » et qui se déploie dans l’espace comme les lames d’un canif. Là enfin, un de ces fameux π rococo, comme il en a installé sur la façade du musée des Beaux-Arts de Nancy. Une sculpture tout en circonvolutions savantes de néon coloré qui fait des pirouettes, minimale et baroque, rigoureuse et ludique, à l’image même de son auteur et d’une maison qui mêle heureusement le sérieux, le curieux et le merveilleux.
1926
Naissance à Cholet (Maine-et-Loire).
1948
Entre dans l’entreprise familiale de fabrication de jouets pour enfants.
1951
Découvre l’œuvre de Duchamp et s’inspire du travail de Mondrian.
1961
Participe à la fondation du collectif GRAV (Groupe de Recherche d’Art Visuel) et devient l’un des principaux protagonistes de l’art cinétique.
1963
Introduit le néon dans son travail.
1988
Grand Prix national de sculpture.
2008
Premier lauréat du Prix Peter C. Ruppert pour l’art concret en Europe.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
François Morellet, le siège des lumières...
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°609 du 1 janvier 2009, avec le titre suivant : François Morellet, le siège des lumières...