Cet enfant de la télé et fils de cinéastes, qui navigue à contre-courant entre autobiographie et histoire de l’art, se fait le chroniqueur attentif et amusé du monde qui l’entoure.
Il préfère Hubert Robert et Jean Honoré Fragonard à Matisse et Picasso. Défend les peintres de chevalet contre les artistes d’avant-garde. Il verse de grosses larmes en lisant Les Misérables et place au sommet de son panthéon littéraire À la recherche du temps perdu. Anachronique François Boisrond ? Indifférent aux modes et résolument à contre-courant, il assume ses penchants romantiques, comme son ami Hector Obalk. « Nous sommes tous les deux très sentimentaux. Nous pleurons au cinéma. Nous nous émerveillons devant des enfants qui tournent en rond sur un carrousel », glisse le critique d’art.
Au printemps, le peintre s’attaquera à une scène de Nativité. « J’ai des nièces à foison, c’est très pratique pour les prises de vue », lance, en riant, l’artiste qui a confié à l’une d’elles le rôle de la Vierge Marie. Le bœuf et l’âne rejoindront, sur la butte Montmartre, son atelier du Bateau-Lavoir grâce aux bons soins de la galerie Louis Carré & Cie. François Boisrond intégrera à sa composition un équipement post-11-Septembre, le portique de sécurité (« fait maison ») sous lequel les rois mages se glisseront avant de se présenter devant l’Enfant Jésus.
« Je ne comprends pas que mes confrères n’y aient pas pensé plus tôt », pouffe l’artiste, espiègle, de sa voix grave, pimentée d’un accent fleurant bon les bords de Loire, berceau de la famille Boisrond.
S’il manie volontiers l’humour, une fois la glace brisée, le peintre n’a rien d’un joyeux drille. Plutôt gauche et timide, l’homme a conservé des attitudes de l’adolescent farouche et mutique qu’il fut. Ce saturnien se qualifie lui-même d’« angoissé optimiste ».
Un « feu d’artifice pictural »
Son parcours de peintre a débuté un jour de juin 1981. Après une décennie dominée par l’art conceptuel, le minimalisme et Supports-Surfaces, le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel donne carte blanche à huit jeunes peintres – parmi lesquels Rémi Blanchard, Robert Combas, Hervé Di Rosa et François Boisrond – qui vont balayer ce bel édifice à grands coups de peinture Ripolin et de rock and roll. L’exposition baptisée « Finir en beauté » est « fantastique, euphorisante, débordante d’énergie ». « Il faut que ça gicle, que ça coule. C’est un feu d’artifice pictural, une ferveur nouvelle ! », s’enthousiasme Hervé Perdriolle, auteur d’un livre sur la Figuration libre. C’est Ben qui invente alors le terme pour qualifier le travail de Combas et Di Rosa : « 30 % de provocation anti-culture, 30 % de Figuration libre, 30 % d’art brut, et 10 % folie. » Galeristes, conservateurs et critiques d’art font le déplacement dans le grand loft parisien de la rue Fondary qui héberge l’événement. Du jour au lendemain, les jeunes artistes se retrouvent sous les feux de la rampe. « J’étais dans l’inconscience la plus totale, s’amuse François Boisrond. Je ne faisais pas la différence entre l’école picturale italienne et l’école nordique. Et le concept de postmodernisme me passait complètement au-dessus de la tête. » Cerise sur le gâteau, les hérauts de la Figuration libre ne sont d’accord sur rien. « Sauf quand il s’agissait de nous “défoncer la gueule” », poursuit François Boisrond, qui trouve aussitôt une galeriste, Farideh Cadot, prête à lui consacrer sa première exposition personnelle un an plus tard, en 1982.
Fils de cinéastes, le petit-bourgeois parisien, réservé, silencieux et grave se prend d’amitié pour le flamboyant et extraverti Sétois Hervé Di Rosa, étudiant boursier, rencontré quelques années plus tôt aux Arts décoratifs. « C’était un vrai coup de foudre amical, se souvient Boisrond. Hervé était fascinant, d’énergie, de curiosité et d’envies. De mon côté, je n’étais pas sûr de moi. Nous étions très complémentaires. »
Se disant dépourvu d’imagination, le jeune homme prend le parti de montrer, dans ses toiles, le quotidien le plus banal. « Ces petits riens et presque tout » qu’il peint avec gaieté sans prêter attention aux ricanements. Ses œuvres très stylisées, faites d’aplats de couleurs et de cernes noirs, « affirment une simplicité et une efficacité picturale associant les sensibilités du pop art, celles de grands affichistes comme Villemot et Savignac », écrit Hervé Perdriolle.
Boisrond et ses compères connaissent très vite le succès. En 1982, il est montré, à New York, à « Statement One », manifestation organisée par Otto Hahn, et à la galerie Holly Solomon. En 1985, Boisrond obtient sa première exposition personnelle dans une institution publique, le CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux, dirigé par Jean-Louis Froment.
Au milieu des années 1980, lassé de son langage basique et de la pauvreté de ses talents plastiques, Boisrond fréquente assidûment le Louvre, un carnet à la main, avec la volonté d’apprendre. « J’adore y aller. Cela me remet d’aplomb. On retrouve la foi là-dedans », confesse-t-il en émettant un petit rire.
« Paris Si mon ami »
Convaincu que tout n’a pas été fait en peinture, il s’emploie à trouver des sujets inédits. L’exposition « Paris Si mon ami », en 1988 à la galerie Beaubourg II, marque un tournant dans son art. Il y montre le Paris des années Chirac : contractuelles en bleu, éboueurs en vert, ouvriers en jaune. Il utilise un appareil photo argentique, pour capter des vues de la capitale, très éloignées de l’univers d’Utrillo dont il réalise une synthèse de retour à l’atelier. Enfant de la télé, il livre sa vision du monde filtrée par des écrans : postes de télévision, pare-brise de voitures, vitrines de magasins et autres panneaux Decaux. Un moyen détourné, pour cet homme discret et doutant de lui-même, de s’attaquer à des sujets, des nus notamment, qu’il n’aurait pas osé traiter directement. Pour ne pas prendre le risque d’avoir « tout d’un coup Titien, Vélasquez et Goya sur le paletot », glousse-t-il.
Vers la fin des années 1980, il introduit graduellement, dans les aplats de ses tableaux, du modelé, de la lumière, du détail, tout ce qui permet l’expression de la nuance. « Il renonce peu à peu aux cernes noirs, rabat ses couleurs pour se constituer des palettes complexes. Un réapprentissage complet de son art, pour le pousser au-delà de sa merveilleuse mais fragile insolence naïve », souligne Didier Semin. L’ancien conservateur, aujourd’hui responsable des études aux Beaux-Arts de Paris, voit en lui un continuateur de la tradition de la scène de genre hollandaise.
Beaucoup de ceux qui ont défendu sa première manière, fraîche et naïve, quittent le navire et lâchent ce peintre « farfelu » qui leur apparaît désormais comme un « traître ».
Pas abattu pour autant, il entame, à la fin des années 1990, un nouveau cycle de peintures dont le sujet est ce monde de l’art qui le rejette. Il peint les biennales – celle de Venise particulièrement – et des vues de salles et d’accrochages volées dans des musées d’art moderne et contemporain. Et s’amuse des gimmicks, des postures et des vanités du microcosme.
Il a été l’un des premiers, dès le milieu des années 1990, à s’équiper d’un appareil photo numérique. Il retravaille ses images à l’aide de Photoshop. Le logiciel lui apporte, explique-t-il, des informations « inouïes et inédites », un « effet vibratoire » qu’il reproduit sur ses toiles.
Le retour de « La Petite Baigneuse »
« C’est un artiste qui peint les yeux ouverts, note Hector Obalk qui le défend depuis plus de trente ans. Il a évolué de façon spectaculaire entre 1981 et aujourd’hui. Il a changé lentement, naturellement, tous les deux ans, sans chercher à surprendre. »
Depuis 2000, il enseigne aux Beaux-Arts de Paris. « Cela m’a ouvert sur pleins de trucs. C’est super-excitant de se trouver confronté à la jeune génération », indique-t-il en grignotant des sucreries. Le professorat l’autorise à produire désormais à son rythme, de manière moins frénétique, à raison d’une vingtaine de toiles par an. Son ami Hervé Di Rosa estime, lui, qu’il ne crée pas assez, et qu’il ne se bat pas assez pour creuser son sillon dans ce milieu de l’art « très dur ». « Il est convaincu qu’il faut souffrir et se flageller pour peindre », lance, d’un air réprobateur, le Sétois, apparemment très éloigné de telles mortifications.
L’inspiration ? « Je marche toujours aux glandes salivaires. Les sujets m’apparaissent soudain comme un bon gros gâteau. » Dans son atelier du Bateau-Lavoir, plus d’un siècle après Les Demoiselles d’Avignon croquées par Picasso, Boisrond s’est attaqué à une autre scène de nus : « le bain turc ». Ou plutôt à la Petite Baigneuse d’Ingres reproduite, revue et corrigée par Jean-Luc Godard dans son film Passion (1982). Trente ans après le cinéaste de la Nouvelle Vague, Boisrond a reproduit obsessionnellement le dos et la chute des reins de cette petite odalisque, Myriem Roussel, portée à l’écran par Godard et devenue entre-temps sa femme. Il s’est attaché, sur la toile, à « revivifier l’incarnat », à reproduire « la sensation de chair, de tissu vivant, de fluide essentiel », selon les mots de l’universitaire Jacques Aumont dans le catalogue édité par la galerie Louis Carré & Cie en 2012. « J’ai dû cravacher. Ce n’est pas simple de peindre de la chair », note le peintre qui a intensifié ses visites au Louvre depuis la réouverture, en novembre dernier, des salles de peintures françaises du XVIIe siècle. Quid de l’exposition « Vermeer », ce maître de la peinture de genre ? « Je m’en fais toute une petite joie d’aller la voir », sourit le peintre, usant ici d’une formulation très boisronienne.
1959 - Naissance à Boulogne-Billancourt.
1977 - Intègre l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris.
1981 - Exposition « Finir en beauté » organisée par Bernard Lamarche-Vadel.
1985 - Exposition personnelle au CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux.
2016 - 355e dans l’Artindex des artistes français.
2007 - « Mudam, ouvre-toi », Mudam, Luxembourg.
2017 - Exposition, à la rentrée de septembre, à la galerie Louis Carré & Cie, à Paris.
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François Boisrond, peintre
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : François Boisrond, peintre