Mêlant des artistes vivant en France et en Algérie, l’exposition « Voyages d’artistes » peine à s’extraire de sa logique diplomatique.
PARIS - Il est des situations d’exposition où tout est joué, sinon perdu, d’avance : « Voyages d’artistes Algérie 03 » est de celles-là. Inscrite dans le cadre de la saison algérienne, l’exposition bute sur toutes les limites du genre imposé de l’exposition diplomatique. Ici, la logique nationale bilatérale, avec deux manches et finale – entendez résidence des uns et des autres et expo à la clef – a conduit à présenter des artistes algériens et d’autres connus ici, en France. Réunis sur quel principe, sinon l’injonction de produire des pièces à thème dont l’accumulation érode le propos ? Retour sur soi nostalgique et familial, parallélisme réducteur (sur le ton du ici/là-bas), paupérisme esthétisé y compris dans la scénographie (les faux plafonds tressés !), perspective historique écrasée dans le vécu individuel et regard politique réduit à une bien prudente (et sans doute nécessairement prudente ?) expression, il n’y a guère dans l’exposition de réponse à l’ambition du projet quand elle entend invoquer une réalité au présent. Y trouverait-on même une manière de relativiser la cruauté de l’histoire dans les sensations de l’instant ; ou de réduire à la douleur sentimentale de l’arrachement affectif toute sorte de voyage, ainsi celui de l’émigration, dont la mise en parallèle avec le voyage initiatique des artistes occidentaux peut friser l’indécence. Il y a cependant quelques moments où les œuvres ouvrent une brèche dans l’imaginaire trop prévisible qui se dessine ici. Le double jeu de l’image de Samta Benyahia – confrontant rythme graphique du moucharabieh et portrait d’ancêtre – marche toujours, au risque de la répétition ; l’ubiquité ou l’aller-retour forment une image efficace sinon forte de l’ailleurs (par le montage parallèle dans la vidéo de Kader Attia ou la mise en réseau par télécommunication de deux espaces d’exposition, parisien et algérois, pour Tarik Mesli). Les figures de femmes – artistes ou représentées, de Ghazel cherchant mariage blanc par voie d’affiche à la silhouette maternelle peinte par Kamel Yahiaoui, en passant par les personnages de plusieurs vidéos – sont d’une présence marquante : peut-on y voir un écho au rôle des femmes quant à leur volonté d’agir sur l’histoire dans l’aujourd’hui déchiré ? Les propositions peintes, en revanche, résistent toutes bien mal à l’ambition documentaire, de quelque côté de la Méditerranée qu’elles viennent, de quelque mérite que relèvent les artistes. Aussi, les volutes sur écran, ces arabesques qui paraissent propulsées par les voix du chant de la vidéo de Yaziz Oulab, touchent plus sûrement à la condensation de références, de rappel et d’économie qu’une œuvre peut prétendre atteindre dans un tel contexte. Reste que l’esprit de l’exposition, malgré ses protestations, laisse finalement loin les réalités de la vie algérienne ou d’Algériens ici ou là-bas. Loin aussi tout ancrage dans une histoire, telle celle, fragile mais continue, de l’art moderne et contemporain en Algérie. On en trouvera une approche documentée et encore sans doute trop partielle au travers de l’exposition et surtout du livre paru l’été dernier sous la direction de Ramon Tio Bellido, Le XXe Siècle dans l’art algérien. Publié lui aussi dans le cadre de l’Année de l’Algérie, réunissant une liste d’artistes pour partie commune avec celle de l’Espace Electra, cet ouvrage donne fond aux perspectives de voyage en proposant une base historique à une scène fragile – mais si proche, comme justement Jean-Louis Pradel, le commissaire de l’exposition, le rappelle.
Jusqu’au 14 mars, Espace EDF-Electra, 6, rue Récamier, 75007 Paris, tél. 01 53 63 23 45, tlj sauf lundi 12h-19h ; catalogue, éditions Paris-Musées, avec le concours de la Fondation EDF, 144 pages, 25 euros. À lire : Le XXe Siècle dans l’art algérien, collectif sous la direction de Ramon Tio Bellido et Fatma Zohra Zamoun, 216 pages, AICA Press, diffusion éditions Sept, 15 euros.
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France-Algérie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : France-Algérie