Art contemporain

Frac 30 ans - La théâtralité à la catalane

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2013 - 646 mots

L’artiste catalan Jordi Colomer a réalisé un film mettant en scène plusieurs œuvres du Frac Basse-Normandie.

CAEN - L’image a priori banale est pourtant des plus cocasses : rentrant chez lui dans ce qui semblerait être un modeste pavillon de banlieue, un homme âgé traverse l’écran avec sous le bras un cadre, dans lequel l’œil avisé aura tôt fait d’identifier une photo de la seconde série « Bringing the War Home » (« Ramener la guerre à la maison », 2004) de Martha Rosler. Quant au pavillon, il s’agit en fait de l’un des ces habitats préfabriqués livrés par les Américains à la Libération afin de palier la pénurie de logement consécutive aux intenses destructions subies par la Normandie. C’est dans un lotissement de Pont-Audemer encore en place et habité qu’a été tourné l’opus, chez plusieurs de ses habitants.

Pour célébrer les 30 ans des Frac, qui en ce laps de temps ont constitué une collection ne comptant rien de moins que 26 000 œuvres de 4 200 artistes, chacun d’eux a invité cette saison un créateur à s’emparer de leurs collections respectives afin d’y penser un projet et en présenter une sélection. Convié par le Frac Basse-Normandie, à Caen, Jordi Colomer, plutôt qu’une exposition y a imaginé un film d’une dizaine de minutes dans lequel sont mises en scène plusieurs pièces de la collection.

Témoignage de l’histoire
Depuis toujours intéressé par les problématiques portées par la conjonction de l’architecture et du politique, l’artiste espagnol a jeté son dévolu sur ces baraquements de type UK 100 importés après-guerre, après en avoir découvert un dans l’enceinte de l’École des beaux-arts de Caen. Il a également constaté la présence, dans la collection du Frac Basse-Normandie, d’images du photographe Bill Owens décrivant le mythe d’un mode de vie rêvé et idéalisé dans les banlieues américaines des années 1970, entre standardisation et singularisation ; parmi elles, le cliché d’une réunion Tupperware en 1972, prétexte au départ du présent film et accrochée à proximité de l’écran. C’est une rencontre de ce type et ses prémices qui est au cœur de l’action et permet de pénétrer des intimités, où le provisoire devenu définitif s’est accommodé de diverses formes de personnalisation. L’apparition parfois fugace de certaines œuvres y contribue là plus encore : au-dessus d’un buffet une tôle de Raymond Hains avec des affiches arrachées (Sans titre, 1976), dans une cuisine des cuvettes en plastique de Michel Blazy donnant lieu à des dégorgements de mousse, ou dans un salon la maquette d’un bâtiment préfabriqué de Didier Marcel, en lente rotation sur un axe (Sans titre (Prefab Church, d’après E.T.), 2009). Or toutes ces œuvres et celles de François Curlet, Sophie Ristelhueber ou Renaud Auguste-Dormeuil, en plus d’être finement mises en scène afin de leur faire assumer un statut d’objet des plus banals si ce n’est décoratif, proposent une réflexion sur le passage du temps et l’entretien toujours vivace de certains idéaux. D’autant que se joue là également, de manière subtile, le rappel d’un certain hiatus avec le réel lorsque la vie s’est installée dans ce qui semble avoir été construit dans l’urgence et à la manière d’un décor, avec ces préfabriqués aux éléments standardisés et ne nécessitant qu’un agencement aisé et rapide, ainsi qu’en témoignent des images d’archives incorporées dans le film. L’insertion à intervalles réguliers de documents historiques en noir et blanc, mettant en exergue un bonheur retrouvé porté par une idéologie du vivre ensemble dans un nouveau cadre vanté comme idéal, résonne étrangement avec le présent.

Porté par une formidable empathie avec ses sujets ne cherchant pas à gommer une pointe de mélancolie, le film de Colomer, grâce à ces va-et-vient dans le temps, éclaire subtilement la conscience d’une nécessité du lien social et de la réaction, au regard du risque d’un assoupissement face à l’uniformisation qui pointe dans la quête du mode de vie idéal ou du bonheur tout simplement.

Jordi Colomer. La soupe américaine

Commissaire : Jordi Colomer
Nombre d’artistes (dans le film) : 11
Nombre d’œuvres : 13

Jusqu’au 23 août, Frac Basse-Normandie, 9, rue Vaubenard, 14000 Caen, tél. 02 31 93 09 00, www.frac-bn.org, tlj 14h-18h. Informations sur les 30 ans des Frac www.platform-frac.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : Frac 30 ans - La théâtralité à la catalane

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