La Royal Academy of Arts offre aux visiteurs d’évoluer au sein des réalisations de six cabinets d’architectes originaires du monde entier.
Londres - Exposer l’architecture reste toujours un défi et les manières de faire sont légion. Depuis quelques années, des musées londoniens proposent ainsi à des architectes, non plus de montrer leurs réalisations, mais d’en construire in situ. En 2010, pour l’exposition « 1:1, Architects Build Small Spaces », le Victoria & Albert Museum avait invité sept architectes à réaliser des installations. On se souvient notamment de la Maison du scarabée du Japonais Terunobu Fujimori, abri délicat et haut perché, tout habillé de bois brûlé. Cette année, c’est au tour de la Royal Academy of Arts d’aborder le créneau avec cette présentation intitulée « Sensing Spaces : Architecture Reimagined », soit « Ressentir l’espace : l’architecture ré-imaginée ». L’objectif de l’institution est clair : « Transmettre la puissance de l’architecture ». Rien de moins !
« La plupart des expositions d’architecture – elles réunissent généralement des dessins, des photographies et des maquettes – nous éloignent de ce que nous éprouvons lors d’un contact direct avec un bâtiment. Pourtant l’exploration physique est primordiale pour notre compréhension de l’architecture », estime Kate Goodwin, commissaire de l’exposition. « Comment une exposition pourrait-elle mettre en évidence la sensation d’habiter l’espace construit, plutôt que de montrer les aspects purement fonctionnels ou visuels de l’architecture ? » Le musée répond en proposant au visiteur non pas de regarder l’architecture, mais de l’expérimenter. À cet effet, sept agences d’architecture parmi les plus réputées au monde – Álvaro Siza (Portugal), Shelley McNamara et Yvonne Farrell (Grafton Architects, Irlande), Diébédo Francis Kéré (Allemagne/Burkina Faso), Kengo Kuma (Japon), Li Xiaodong (Chine), Mauricio Pezo et Sofia von Ellrichshausen (Chili) et Eduardo Souto de Moura (Portugal) – ont été invitées à concevoir une installation spécifique. Il suffit de déambuler dans et autour des œuvres pour comprendre que l’expérience fonctionne. Le visiteur peut se faire une idée dès la première pièce déployée dans la cour de l’institution par Alvaro Siza, lequel met en scène une colonne emblématique de l’édifice pour dire que rien ne s’érige en faisant table rase : « En tant qu’architectes, nous construisons toujours en relation avec quelque chose d’autre. Ce que nous créons n’est pas un objet isolé, mais transforme et est transformé par ce qui existe déjà. »
Ressentir l’espace
La démonstration, qui se poursuit à l’intérieur dans les vastes galeries néoclassiques, se révèle « multisensorielle » et illustre la façon dont des notions comme la vue, le toucher ou l’ouïe jouent un rôle essentiel dans notre perception de l’espace, des proportions, des matériaux et de la lumière. Même l’odorat est ici mis à contribution, avec deux installations en tiges de bambou signées Kengo Kuma, parfaitement réalisées certes , mais un brin décoratives, par lesquelles l’architecte nippon évoque le souvenir de sa maison d’enfance à travers deux odeurs : celle du bois d’hinoki – sorte de cyprès – et celle de la paille de riz des tatamis. « Lorsque je respire ces deux odeurs, je dors bien », affirme-t-il.
L’agence chilienne Pezo von Ellrichshausen a érigé une superbe construction de bois constituée de quatre épais cylindres dont le noyau dissimule un escalier permettant d’accéder à une « terrasse » en hauteur. D’un coup d’un seul, le visiteur qui habituellement déambule sur le parquet se retrouve flirtant avec les moulures dorées du plafond et appréhende l’espace d’un point de vue unique.
Diébédo Francis Kéré, lui, a réalisé un tunnel entre deux salles en agglutinant des panneaux nid d’abeille en polypropylène translucide. Pour l’architecte burkinabé, « sans les gens, l’architecture serait vide ». Chaque visiteur est donc invité à transformer l’ouvrage en glissant de longues pailles de couleur dans les « alvéoles » des nids d’abeille.
À partir d’un précepte du sage chinois Lao Tseu – « L’important est le contenu, non le contenant » –, Li Xiaodong dessine un labyrinthe en branches de noisetier foncées avec de-ci de-là de petits refuges en hêtre clair – « métaphore d’une maison dans la forêt » –, dans lequel se fondent les limites entre intérieur et extérieur. De son côté, le duo Grafton Architects s’amuse avec le visiteur, le faisant passer de l’obscurité à la lumière, ou vice-versa, suspendant au-dessus de sa tête des pans de murs qui dirigent ou réduisent la lumière naturelle.
Ce visiteur, Eduardo Souto de Moura, de manière extrêmement juste, lui apprend tout simplement à regarder l’architecture. Il réalise un mince moulage en béton d’une embrasure de porte et le place légèrement de biais par rapport à l’original, mettant ainsi en lumière cet élément d’architecture devant lequel habituellement l’on passe sans jeter le moindre coup d’œil : « L’espace pour un architecte n’existe pas, donc nous concevons des limites qui donnent l’impression d’un espace », estime Souto de Moura.
Sur une cimaise est inscrite une maxime d’un fameux Britannique, Winston Churchill : « We Shape Our Buildings, Thereafter They Shape Us ». Traduction : « Nous faisons nos bâtiments, ensuite c’est eux qui nous font. » À méditer !
Commissaire de l’exposition : Kate Goodwin, conservatrice d’architecture à la Royal Academy of Arts
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Faire l’expérience de l’architecteure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Faire l’expérience de l’architecteure