Avec près de soixante-dix peintures et sculptures d’époques variées, c’est presque à une rétrospective de l’œuvre de Gérard Garouste que convie la Villa Médicis, à Rome.
Nous sommes accueillis dans votre exposition par une série de portraits. Comment vous est-il possible d’aborder aujourd’hui un genre si historiquement chargé ?
Le parcours s’ouvre en effet sur des portraits de commande ; visiblement, c’est la chose la plus ambiguë que l’on puisse faire. La première œuvre est une gouache dont le titre, Véronique (autoportrait) (2005), est très important puisque Véronique signifie la « vraie icône », celle de la Passion du Christ. De plus, le dernier tableau de l’exposition est une Annonciation (Indienne, Ange de l’Annonciation, 1988). Si on suit le parcours en sens inverse, de l’Annonciation à la Véronique, on est dans un chemin classique de la peinture, avec une chronologie. Mais si on remonte à l’envers en commençant par ce qui est choquant, c’est-à-dire des portraits de commande passés au XXIe siècle, tableau après tableau on casse cette lecture religieuse pour toucher à quelque chose de plus fondamental qui est une philosophie de la métaphysique. Je pars du principe que nous avons tous en nous-mêmes une dimension métaphysique, qui est dévorée par un pouvoir religieux dont il est nécessaire de parvenir à se débarrasser, car nous sommes dans du pouvoir et non dans de l’éthique ou de la philosophie. Voilà le sujet de mon exposition : comment casser cela, recréer un questionnement, échapper à un discours de vérité ? Quelle est pour moi la nécessité de la religion ? Est-elle un faux chemin ?
Votre travail comporte toujours une dimension éminemment énigmatique. On trouve même déjà dans une série ancienne, Comédie policière (1978), une énigme clairement posée. En quoi cette dimension vous intéresse-t-elle ?
Cela rejoint la notion de secret. Pour qui en a un, le jeu consiste à dire « j’ai un secret » ; à l’autre de le découvrir sans qu’il ne soit trahi. Que signifie alors ce petit jeu qui consiste à inviter l’autre à dire des choses, à trouver par lui-même ? C’est tout le problème de la transmission, auquel j’attache beaucoup d’importance. Il ne faut pas être passif devant la transmission, c’est une mauvaise chose. Celui qui reçoit doit être aussi actif que celui qui transmet. Dans la peinture, j’ai toujours été séduit par ce que les peintres, parfois, ne révélaient pas, dans le paradoxe de la peinture qui se donne à voir.
Vous mettez en scène des éléments autobiographiques, en particulier dans Garnetton (2007), où vous évoquez votre père et ses commerces pendant la guerre, et Chartres (2007), qui traite d’une expérience vécue. En quoi ces aspects-là ont-ils été importants dans la construction de votre peinture ?
En effet, ce n’est pas le côté religieux des choses qui m’intéresse finalement, mais une critique de notre culture. Celle-ci n’est pas remise en question parce qu’elle est faite des strates issues de l’éducation religieuse, justement. Nous pensons en être sortis, mais nous sommes toujours complètement dans une civilisation chrétienne. Or, pour remettre tout cela en question, la moindre des choses est de commencer par soi-même. Parler de l’antisémitisme et ne rien dire de ma famille serait un peu léger. Si elle avait été composée de héros pendant la guerre, alors je n’en dirais rien car je n’aurais rien à défendre ni à prouver. Mais dans la mesure où elle était antisémite, avec une bonne conscience chrétienne, ce qui n’était d’ailleurs pas exceptionnel, il était nécessaire que je fasse table rase par rapport à cela. De même que, sur un plan personnel, j’ai une maladie, appelée « maniaco-dépression », qui m’a souvent conduit dans des hôpitaux psychiatriques. Ce tableau de Chartres est une scène que j’ai vraiment vécue. J’avais un rendez-vous où je ne suis jamais allé. Quand on délire, on est pris par des associations libres. Habitant à une quarantaine de kilomètres de Chartres, je me suis tout d’un coup, par un délire mystique, retrouvé là à casser des cierges et à me promener sur le labyrinthe de Villard de Honnecourt. Ce délire fait donc partie de ma vie, et j’ai besoin de peindre ces périodes qui sont assez fortes. Et puis la peinture n’est pas qu’une question plastique, c’est une manière agréable d’aborder les choses même si elles sont graves. C’est une façon pour moi de parler d’une éthique qui est ce que je pense de la société. Pour finir par un mot-clé, c’est ce que j’entends par « politique » au sens platonicien du terme, c’est-à-dire l’homme dans la cité, tout simplement responsable et y participant comme n’importe quel individu devrait le faire.
GÉRARD GAROUSTE . LE CLASSIQUE ET L’INDIEN, jusqu’au 3 janvier 2010, Académie de France à Rome – Villa Medici, Viale Trinità dei Monti, 1, Rome, tél. 39 06 67 611, www.villamedici.it, tlj sauf lundi 11h-19h. Catalogue, coéd. Electa/Villa Medici, 164 p., 35 euros, ISBN 978-88-370-7326-8.
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Entretien avec Gérard Garouste, peintre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°312 du 30 octobre 2009, avec le titre suivant : Entretien avec Gérard Garouste, peintre