Qui est Ed Ruscha ? Cet Américain, considéré par certains comme le premier à avoir réalisé un livre d’artiste, vient de voir ses œuvres atteindre des sommets lors des dernières ventes de mai à New York.
Simultanément, Ed Ruscha publie avec Alexandra Schwartz une importante monographie, Leave any information at the signal (éd. MIT Press). Depuis le début des années 1960, il a su marier typographie, paysage hollywoodien et peinture suave. La marque de ce dernier s’est également affirmée dans ses sentences lapidaires, phrases inscrites au centre de ses toiles. Ces écrits se résument souvent à peu mais parlent à nombre d’entre nous, et même à lui, comme le prouve cet entretien dont les questions adoptent quelques-uns de ses « statements ».
People getting ready to do things (les gens se préparent)
Avec l’installation de ces peintures de montagnes en “miroir” présentées chez Gagosian [du 10 mai au 15 juin 2002, ndlr], j’espère que j’ai réussi à ordonner une collection de pensées et de concepts qui partaient un peu dans tous les sens. Si vous essayez de les réunir dans une seule pièce, cela tourne parfois au cauchemar, ou cela peut être satisfaisant. Je suis content de ce que cela donne. J’espère que ces montagnes cachent quelques névroses modernes. Je ne veux pas les faire sortir pour vous faire peur, mais je ne peins pas de jolies montagnes. J’essaie de montrer que l’univers n’est pas toujours en ordre.
I’m completely exhausted (je suis complètement épuisé)
Non, pas du tout. C’est juste une histoire de pensée facile et libre, la progression des mots ou leur suggestion. Parfois, on peut morceler ces choses et en faire de nouveaux messages.
That is right (c’est exact)
Surtout, cela donne à réfléchir. Quand on commence à mélanger ces choses, on peut obtenir des résultats intéressants. D’autre fois, sans que cela soit inintéressant, les résultats vous entraînent sur une mauvaise voie, vous poussent dans une direction qui n’est pas la bonne.
Silly things (des bêtises)
Je me débats avec ce problème, j’explore la maladresse des mots en quelque sorte.
Thinking the same (penser la même chose)
Oui, je fouille cette idée d’un thème évolutif ; l’idée que je pense toujours la même chose. Je me revois lorsque j’avais dix-huit ans, je revois les pensées qui étaient les miennes alors. Je me rends compte que je fais encore pareil aujourd’hui.
Year after year (d’une année sur l’autre)
Vous pourriez même dire que le côté droit de mes peintures pense comme le côté gauche. La montagne est comme un paysage plat en éruption. Je la regarde un peu à la façon d’un géologue. La montagne est imprégnée de ces idées “à l’eau de rose” de béatitude, de grandeur et de gloire inaccessibles.
Good reading (bonne lecture)
La plupart de mes titres sont mes peintures. J’aurais aimé écrire un livre qui aurait porté ce titre en couverture. Alors j’ai peint des couvertures de livres. Voilà peut-être tout ce que je fais, peindre des couvertures de livres...
You know the old story (vous connaissez la chanson)
J’avais des doutes sur le fait de continuer à faire de l’art de certaines façons. Je me serais lassé d’une chose, comme je me suis lassé de passer de la peinture à l’huile sur une toile. J’ai pensé que je devais faire autre chose, je veux faire autre chose, il est temps de faire autre chose.
Telling (raconter)
Je voulais tout recommencer. C’est un sentiment fréquent chez les artistes.
Blank book (livre blanc)
J’essayais de ne pas être impliqué dans quoi que ce soit de “stylistique” et la typographie est avant tout une affaire de style. J’ai senti que je devais me diriger vers quelque chose d’inintéressant, ou de très basique et j’ai trouvé cela, ce que j’appelle le “Boy Scout utility modern”.
Sure (certain)
Vous savez, cet aspect qu’ont les lettres dessinées par un employé des télécoms qui rédige une affiche pour le pique-nique annuel. C’est un autre aspect de la vie, le “style” n’a rien à y faire.
Made in California (Fabriqué en Californie)
Cette esthétique rappelle un peu celle du monde de la fabrication des livres, de la poésie, une chose qui s’est peut-être infiltrée lors de ma formation. J’ai travaillé pour un imprimeur et j’ai appris à composer avec les caractères, à faire tout ce que doit savoir un “apprenti imprimeur”. J’ai donc pu me faire une idée. Puis, il y a eu la poésie et ensuite la peinture pour couronner le tout. J’avais tous ces concepts contradictoires qui arrivaient en même temps. Là, j’ai commencé à travailler avec la photographie alors que je n’étais pas photographe. Quant aux images, je ne sais pas d’où elles venaient, j’essaie toujours de comprendre.
Now then, as I was about to say... (et donc, comme j’allais le dire...)
J’ai tout de même fait des choix très fermes. J’avais l’impression que c’était la seule chose que je pouvais imposer. L’idée d’un choix délibéré était primordiale si je voulais continuer à être un artiste. À tel point que je connaissais le titre de mon livre Twenty-six gasoline stations (Vingt-six stations-service) avant même d’avoir fait la moindre photo.
It’s recreational (c’est ludique)
Vous savez, je suis étonné de constater que je ne fais pas la même chose qu’en 1963. C’était une part vitale de mon travail. Et me rendre compte qu’il s’agit en fait d’une aventure d’exploration me donne envie de dire “eh bien, c’était simple ! c’était vraiment super !” C’était un paysage. On le lit de gauche à droite. C’est comme cela que je regarderais un paysage, de gauche à droite. C’est l’essence de tout ce que j’ai fait à l’époque. Voilà ce que j’en pense aujourd’hui.
Just an average guy (un mec moyen)
Oui, je l’ai montré de plusieurs façons. J’ai essayé de supprimer les mots pour obtenir un petit personnage isolé dans un long paysage plat. J’ai essayé de faire le portrait de ce genre de personnes.
An extremely ordinary person (quelqu’un de très ordinaire)
Les artistes se débattent toujours avec cette idée, l’idée d’un homme commun, qui peint des sujets prosaïques. Des artistes différents expriment cela de plusieurs façons. L’”ordinaire” est un vrai sujet fécond. Une idée que l’on retrouve dans les stations-service, ces choses que l’on voit tous les jours en passant en voiture et que l’on oublie.
There’s no job too small (il n’y a pas de petit métier)
Là encore, il s’agit de termes très prosaïques que je glorifie. C’est un fait, il n’y a pas de petit métier. On pourrait aussi dire qu’il n’y a pas de grand métier ! Le contexte dans lequel on montre des œuvres d’art renferme une problématique fascinante. On produit des œuvres d’art singulières, et, petit à petit, une collection. On veut montrer ces œuvres dans un espace, et alors elles deviennent autre chose, puis autre chose, et autre chose encore. On espère que quelque chose de magique se produira, qu’avec un coup de baguette tout aura l’air parfait.
I’m amazed (je n’en reviens pas)
Je n’ai jamais atteint la grandeur des choses. C’est un problème avec le lequel je me débats : jusqu’à quel point une chose peut-elle être grande ? Fabriquer simplement quelque chose de grand n’est pas une réponse en soi. Et il vaut mieux que certaines choses restent petites, je veux dire minuscules. C’est un peu comme si j’avais recours à un pilotage automatique, qui me dicterait la taille que les choses doivent avoir. Mais quand je regarde le travail que j’ai accompli, comparé au reste du monde de l’art, mes réalisations sont toujours de taille moyenne, voire petite.
Sudden spurt of activity (un regain d’activité)
J’ai toujours travaillé de la même façon. Parfois, je me trouve paresseux si je ne fais pas l’effort d’aller travailler tous les jours dans mon atelier. En fait, je ne suis pas une machine.
The uncertain trail (la piste incertaine)
J’aime l’idée que la certitude existe, l’incertitude aussi, et l’immense gouffre entre les deux.
Time is up (c’est l’heure)
Parfois j’en suis sûr, et parfois j’en doute vraiment.
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Ed Ruscha : Marabout, bout de ficelle, selle de…
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : Ed Ruscha : Marabout, bout de ficelle, selle de ...