Paris - Cinq zettabytes, soit cinq milliards de téra-octets. C’est, selon David Bihanic, commissaire de l’exposition « 1, 2, 3 data » à la Fondation EDF, le volume des données produites, générées et échangées aujourd’hui à travers le monde.
Comment organiser visuellement une telle masse, et dans quel but ? C’est tout l’enjeu de l’exposition que de rassembler des réalisations portant spécifiquement sur cette question-là, et d’inventorier la manière dont l’art et le design traitent, trient, analysent, organisent et présentent le foisonnement contemporain des datas. Parmi les pièces présentées, The Network Effect (2015) de Jonathan Harris et Greg Hochmuth a ceci de spécifique qu’elle lie cette mise en forme à une démonstration ingénieuse de la façon dont nous les percevons.
L’œuvre se compose d’une impressionnante banque de données vidéo et textuelles accessible en ligne sur le site www.networkeffect.io. On vous y invite à naviguer à travers une somme de vidéos, de tweets, de graphiques organisés autour d’une liste alphabétique de mots clés – de ache (« faire mal ») à yawn (« bailler »), en passant par hug (« câlin »), drink (« boire ») ou pray (« prier »). Soit un catalogue d’activités banales, plus ou moins futiles, dont The Network Effect prétend offrir une analyse socio-anthropologique ou psychologique. Sitôt choisi un thème, l’écran déroule en montage serré une succession de vidéos postées sur YouTube. Vous avez cliqué sur hug ? Pendant que les images d’accolades se succèdent, un menu à gauche vous propose d’en savoir plus sur le sujet en fonction de divers critères – le genre, le nombre de personnes, leurs motivations, etc. On y apprend ainsi que la pratique du câlin est en progression constante depuis 1900 et qu’elle est majoritairement féminine. On y découvre aussi le « pourquoi » du phénomène via une série de tweets récents comportant ce mot clé. À propos de shoot– « tir à l’arme à feu », activité essentiellement pratiquée par des hommes, nous dit-on –, tel twittos explique « parce que je suis malade à en crever et que j’ai besoin d’aide », tel autre, « parce que je suis le vrai chaos ».
Aussi exhaustive semble-t-elle, la base de données de The Network Effect n’a pourtant aucune portée scientifique – ou alors de manière très indirecte. Comme l’indique le titre de l’œuvre, il s’agit moins de délivrer quelque information que ce soit, que de démontrer l’effet de sidération produit in fine par cette masse pléthorique de datas. Le dispositif mis en œuvre par Jonathan Harris et Greg Hochmuth y est pour beaucoup : sitôt connecté, un compte à rebours indexé sur l’espérance de vie du pays où vous vous connectez se lance. En France, il vous laisse un peu plus de huit minutes pour parcourir le site. Au-delà, la connexion se bloque, et il faudra attendre le lendemain pour toute nouvelle visite. Cette limitation volontaire du temps de navigation plonge l’internaute dans une sorte de course frénétique à l’information. Partant, elle permet de révéler les données pour ce qu’elles sont : un tonneau des Danaïdes propre à produire de la frustration, une masse si abondante qu’il est impossible d’en tirer quoi que ce soit, sinon un mirage d’omniscience. Au cas où vous n’en auriez pas éprouvé l’effet en « surfant » sur The Network Effect, la citation de Carl Jung qui clôt votre session viendra ainsi nuancer la portée heuristique d’Internet, et souligner toute la distance qui sépare l’information du savoir : « Votre vision ne deviendra claire que quand vous pourrez regarder à l’intérieur de vous-même, affirme-t-elle. Qui regarde à l’extérieur, rêve ; qui regarde à l’intérieur, s’éveille. »
jusqu’au 6 octobre 2018. Espace Fondation EDF, 6, rue Récamier, Paris-7e. Du mardi au dimanche, de 12 h à 19 h. Entrée libre. Commissaire : David Bihanic. fondation.edf.com
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°714 du 1 juillet 2018, avec le titre suivant : Données à voir