La Biennale dessine une gigantesque interconnexion des contextes et préoccupations qui façonnent le monde.
VENISE - Dans la pénombre la plus complète, un parcours où s’enchaînent des films captive et retient le visiteur curieux : une faible lumière explore un crâne découpé, des jaunes d’œuf se superposent, des ballons volent, des phénomènes anormaux intriguent… Avec « Experiments and Observations of Different Kinds of Air » (expériences et observations de différentes sortes d’air), le tandem João Maria Gusmão et Pedro Paiva a imposé le pavillon portugais comme l’un des plus curieux et des plus réussis de la 53e Biennale de Venise.
Et le fait que les artistes y isolent et explorent des phénomènes singuliers qui, du domaine scientifique, glissent vers une compréhension du monde ne manque pas d’entretenir une résonance avec le propos de l’exposition internationale concoctée par Daniel Birnbaum, sise à l’Arsenal et au Palais des Expositions, dans les Giardini. Non que la science y constitue un quelconque présupposé ni même un postulat, mais plutôt parce que cette présentation a, au nombre de ses qualités, celle de poser des questions pertinentes quant à la manière dont les artistes comprennent le monde et s’en saisissent pour le (re)fabriquer plus que pour le retranscrire.
D’emblée, en employant le pluriel dans son titre « Construire des mondes », le commissaire impose une vision allant au-delà du problème de la globalisation stricto sensu pour se situer dans un aujourd’hui qui l’a largement dépassée. Ce qui rend stérile et inappropriée toute tentative de lecture des pratiques convoquées en termes d’oppositions géographiques et, par-delà, culturelles. Pascale Marthine Tayou le démontre magistralement avec sa vaste installation Human Being @work (2007-2009), qui voit un village africain traditionnel se connecter au monde occidental grâce à l’impact des images.
Le temps en filigrane
Dans le déroulé de son propos, que l’on pourrait donc qualifier de « post-global », Birnbaum multiplie les points d’entrée. Ici le territoire et le façonnage du paysage (Thomas Saraceno, Yona Friedman et sa Ville spatiale utopique, Chu Yun et sa cité identifiée par des diodes d’appareils ménagers, Constellation n°3, 2009). Là, les liens entretenus avec la nature (Gordon Matta-Clark, ou la fascinante installation en plastiline de Nathalie Djurberg (Experimentet, 2009), qui a parfaitement mérité son lion d’argent, dont le jardin d’Eden anémié devient le théâtre d’une intense réflexion sur le rapport de l’homme au monde). Ailleurs, les problèmes de construction eux-mêmes, avec les réseaux superposés de l’égyptienne Susan Hefuna (Buildings, 2008) ou les tirants de métal sortis du mur par la Russe Anya Zholud (Communications, 2009). L’interconnexion des contextes qui donne lieu à hybridation (Simone Berti, Roberto Cuoghi…). Ou encore les questions de perception et la dialectique vrai/faux, avec Ceal Floyer, qui rend géant un bonsaï (Overgrowth, 2004), ou l’Espagnol Jorge Otero-Pailos qui a transféré sur du latex les traces d’une façade non restaurée du Palais des Doges (The Ethics of Dust : Doge’s Palace, Venice, 2009).
En assurant cette translation du passé sur un nouveau support, cette dernière œuvre insiste sur l’interrogation qui en filigrane parcourt toute l’exposition : le temps et la mise en réseau des réalités contrastées qu’il induit. À l’image du film de Simon Starling retraçant l’histoire d’une manufacture d’acier d’où est sortie la sculpture qui lui sert de dispositif de projection (Wilhelm Noack OHG, 2006). Cette problématique apparaît d’autant plus fondamentale que Birnbaum a parsemé avec talent son parcours de figures tutélaires, tels le groupe Gutaï (avec une salle magnifique), Blinki Palermo, Gino de Dominis ou André Cadere. Une manière d’insister efficacement sur la préoccupation de tant de jeunes générations d’artistes aux prises avec un décorticage formel et intellectuel des avant-gardes. La juxtaposition des images monochromes de Wolfgang Tillmans et des cartons colorés pliés et découpés de Lygia Pape (Livro de Criação, 1959) en fait une démonstration éclairante. Tout en imposant le langage abstrait en tant qu’outil de mise en scène de toute la complexité… non pas du monde, mais des mondes.
Les pavillons nationaux font preuve d’une qualité relativement soutenue. Magistral, Bruce Nauman fut, avec une œuvre nouvelle, une fois encore à même de créer un vertige temporel et sémantique. Fiona Tan et Steve McQueen n’ont pas déçu avec leurs propositions filmiques ; l’une s’inspirant notamment du voyage de Marco Polo alors que l’autre, entre réel et scénarisation, donne à voir différemment les Giardini. Pour la République tchèque, Roman Ondák a laissé la végétation s’installer dans l’édifice, alors que le Polonais Krysztof Wodiczko traite avec finesse d’immigration et d’intégration. Quant à Elmgreen & Dragset, leur exposition de groupe dans les pavillons nordique et danois, « The Collectors », par son décalage fictionnel, ses surprises et son humour, restera comme l’un des symboles de cette biennale.
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Des temps, des mondes
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Daniel Birnbaum, recteur de la Staedelschule de Francfort
- Nombre d’artistes : 96
jusqu’au 22 novembre, Venise, divers lieux. Informations : www.labiennale.org.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : Des temps, des mondes