PARIS
Avec « Inside », le Palais de Tokyo laisse le spectateur plonger vers les tréfonds de divers intérieurs, au risque d’y sombrer.
PARIS - Les accès ne mènent nulle part et la progression est très vite entravée. La ziggourat inachevée faite de parpaings et de ferraillage, érigée par Mike Nelson sur un plateau du Palais de Tokyo, à Paris, appelle comme souvent les visiteurs à pénétrer dans ses œuvres par l’une de ses quatre entrées. Mais très vite le visiteur se voit empêché par des grilles qui se rejoignent au centre même de l’édifice, constituant un paradoxal point de rencontre entre des protagonistes entrés par des portes différentes, sans toutefois qu’ils puissent se rejoindre (Studio Apparatus for the Palais de Tokyo - A Maquette Turned Memorial to a Phantom Work, 2014). À cette circulation contrariée semble répondre, bien plus bas, Le Refuge (2007) de Stéphane Thidet : cabane de bois à l’intérieur de laquelle il pleut à verse et dont l’appel comme la fonction sont là encore contredits, et qui aurait pu être installée à proximité. C’est à une expérience de l’intérieur que convie l’exposition « Inside », avec des installations dont beaucoup sont à traverser, imposant au spectateur une visite presque comme en apnée, dans un parcours dense et habité qui convoque des quantités de perceptions liées à l’intime, au risque d’une certaine lourdeur tant une noirceur à gros traits domine.
Plusieurs propositions trouvent un point d’ancrage dans l’intériorisation de soi et/ou les failles et faiblesses du genre humain. Abraham Poincheval a conçu un ours dans lequel il est possible de s’installer, avec une vidéo qui relate les activités banales effectuées dans cet « intérieur » (Ours, 2014) ; et resurgit cette étrange vidéo de Christian Boltanski, L’homme qui tousse (1969), où un individu enfermé dans un espace crasseux tousse jusqu’à cracher du sang. Toujours gênante et sujette à discussions est également cette vidéo d’Artur Zmijewski dans laquelle des adultes dénudés s’amusent, parfois gênés, à se poursuivre dans deux espaces différents mais non identifiés, dont l’un s’avère être une ancienne chambre à gaz (Berek (The Game of Tag), 1999).
Humeurs lugubres
Quelques artistes parviennent avec brio à convoquer l’espace mental, comme Andro Wekua avec un film dans lequel les personnages semblent évoluer au gré d’inquiétantes dérives oniriques, ou Mark Manders, auteur d’une magistrale et ample installation évoquant la problématique de l’atelier et donc le processus interne de la création. Beaucoup d’œuvres sont sombres, trop parfois. Ainsi la multiple projection de Sookoon Ang évoquant le mal-être d’adolescentes au visage grimé en tête de mort (Exorcise me, 2013) ; le double film surproduit et surjoué de Jesper Just, où l’aliénation du personnage principal semble de pacotille (This Nameless Spectacle, 2011) ; ou la suite vidéo d’Araya Rasdjarmrearnsook dans laquelle l’artiste fait la lecture à des morts (Conversation I-III, 2005).
Les rares perspectives un peu plus légères délivrées par le parcours sont celles proposées, coïncidence, par deux artistes brésiliens, Marcius Galan et Tunga. Malin et un brin facétieux, le premier laisse littéralement le spectateur « tomber dans le panneau », à savoir lui donner l’illusion, grâce à une subtile variation de teintes sur les murs, une réglette de bois posée au sol et un éclairage réglé à la perfection, que sa progression est entravée par une vitre alors qu’il n’est face à rien d’autre que le vide (Diagonal Section, 2014). Chez le second c’est d’abord la musique qui attire au loin, en l’occurrence une ballade de Frank Sinatra dont l’insouciance est contredite une fois dans la salle par l’image sur grand écran de la traversée en boucle d’un tunnel, sans possibilité de sortie aucune (Aõ, 1981).
L’écueil majeur de cette proposition consiste en ce que, in fine, elle semble confondre l’intériorité avec l’enfermement, la torture mentale et la claustrophobie, ou en tout cas les assimiler en un tout indissociable. Or même si les commissaires affirment vouloir proposer « une traversée risquée de soi », il apparaît difficilement concevable qu’un thème aussi vaste soit cantonné à ces seules perspectives, quand il permettrait d’en ouvrir d’autres moins sombres et nauséeuses, qui offriraient un contrepoint.
Commissariat : Jean de Loisy, Daria de Bauvais, Katell Jaffrès
Nombre d’artistes : 34 artistes et collectifs
Nombre d’œuvres : 30 installations
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Des intérieurs claustrophobes au Palais de Tokyo
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Jusqu’au 11 janvier, Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 81 97 35 88, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf mardi 12h-00h.
Légende Photo :
Numen/For Use, Tape Paris, 2014, vue de l'exposition « Inside », Palais de Tokyo, Paris. © Photo : André Morin
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Des intérieurs claustrophobes au Palais de Tokyo