Toulouse - En 1969, l’équipage d’Apollo 11 se pose sur la Lune. L’événement revivifie les rêves d’explorations spatiales nourris, entre autres, par Jules Verne et Georges Méliès. Forest Myers conçoit le « Moon Museum », minuscule céramique destinée à l’espace. Y figure notamment un dessin d’Andy Warhol, dont l’ambiguïté – est-ce un pénis ou une fusée ? – assimile la conquête spatiale à une démonstration de virilité. Peu après, Paul Van Hoeydonck crée la sculpture Fallen Astronaut, qui sera déposée sur le sol lunaire en 1971. Exposées aux Abattoirs (Toulouse) à l’orée de l’exposition « Gravité zéro », ces œuvres inaugurent un dialogue fructueux entre artistes, scientifiques et astronautes, dialogue dont Télescope intérieur d’Eduardo Kac, « performé » en 2016 à bord de la station spatiale internationale par Thomas Pesquet, est le dernier exemple en date.
Constituée d’œuvres créées depuis 2014 dans le cadre de Nuit blanche, la collection de l’Observatoire de l’espace du Cnes présentée à Toulouse permet de mieux cerner ce qui lie la création artistique à la conquête spatiale. « L’espace est un vaste terrain de jeu où tout devient possible », explique ainsi Loïc Pantaly. L’installation SSCP (Serendipity Space & Capsule Project) créée par l’artiste en 2016 joue d’ailleurs sur le mode pataphysique de cette confrontation à un environnement matériel délesté de la gravité et des contraintes terrestres : mimant la démarche scientifique, le projet s’emploie à tester diverses idées, surtout les plus loufoques, avec force hypothèses et schémas, et aboutit à la réalisation d’Iris, une sonde qui s’anime toutes les trois minutes pour projeter des arcs-en-ciel dans le cosmos. L’espace est un « ouvroir » pour l’imaginaire. De ce fait, il étend son pouvoir de séduction au-delà des rares artistes qui ont eu le privilège d’approcher de près les programmes spatiaux et de s’y associer. Au gré d’une poignée de créations, l’exposition « Gravité zéro » laisse ainsi entrevoir un monde où chacun pourrait se projeter hors de l’atmosphère, même avec des moyens dérisoires.
À une conquête spatiale souvent confondue avec l’hégémonie des grandes puissances, l’artiste vient alors ajouter le vœu d’une aventure personnelle délestée de sophistication technologique, mais chargée d’affects. D’une sorte de démocratisation spatiale en somme, où chacun aurait son quart d’heure d’apesanteur. The Moonwalk Machine – Selena’s Step, clip pop et acidulé de l’artiste japonaise Sputniko! s’inspire ainsi du lancement en 2013, par une jeune scientifique amatrice de 13 ans, de sa poupée Hello Kitty dans la stratosphère. Dans une veine plus franchouillarde, Johan Decaix met en scène dans Projet Étoile (2017) la réalisation d’un rêve d’enfant : celui de photographier la courbe terrestre depuis l’espace, avec l’appareil photo de son grand-père. S’ensuit une cérémonie savoureuse dans un jardin picard, avec discours ému et Marseillaise entonnée par un cousin. On peut difficilement faire plus éloigné de l’imaginaire spatial, forcément héroïque, véhiculé tout à la fois par la science-fiction et par la science tout court. Chez Halil Altındere, la conquête de l’espace prend même un tour politique, et se donne comme horizon possible pour les dominés. Dans Space Refugee, l’artiste raconte l’exode en Turquie, en 2011, de Muhammed Faris, le seul Syrien à être jamais allé dans l’espace. L’amertume qu’éprouve l’ancien cosmonaute en tant que réfugié lui inspire un rêve spatial, où Mars deviendrait une terre d’accueil sans frontières ni souveraineté nationale. Bref, une utopie dénuée de gravité, au propre comme au figuré.
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Démo-cratisations spatiales
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°713 du 1 juin 2018, avec le titre suivant : Démo- cratisations spatiales