Sculpteur, ingénieur, paysagiste, urbaniste… Dani Karavan est un peu de tout cela avant d’être un poète de l’environnement.
Né à Tel-Aviv en 1930, représentant Israël à la Biennale de Venise en 1976, l’artiste révèle la mémoire des lieux. Cette ambition l’a conduit à travailler sur des sites tel l’Axe majeur de Cergy-Pontoise dans les années 1980, ou qui inspirent la paix : le Chemin des droits de l’homme à Nuremberg (1989-1993), un hommage à Walter Benjamin à Port-Bou (Espagne, 1990-1994) et le Square de la tolérance à l’Unesco à Paris. Rencontre à l’occasion de son exposition à la galerie Jeanne Bucher à Paris et sur le stand de cette dernière à la FIAC .
Vous développez actuellement le projet de « Sculpture environnementale de Murou ». Comment avez-vous pensé ce site au Japon ?
Dani Karavan : C’est un village de 7 000 habitants au milieu des galets. C’est le Japon des champs de riz, des arbustes de thé et des cerisiers. Il y a aussi là-bas une petite pagode qui a été détruite par un arbre, et un très joli petit temple avec des sculptures extraordinaires. Il a été construit entre les années 800 et 1200. Ce village est chaque année visité par 350 000 à un demi-million de touristes japonais. Il y a là un problème écologique lié à l’eau et qui provoque un glissement de la montagne. Pour éviter le désastre écologique, ils sont obligés de pomper l’eau. C’est un projet très ambitieux, et le maire de la ville a eu l’idée de travailler avec un artiste pour donner forme au projet. Pas un ingénieur… mais un artiste. Et ils sont arrivés à moi.
Comment présentez-vous ce projet à la FIAC et à la galerie Bucher ?
D.K : Nous avons décidé de montrer quelques maquettes, un film, une sorte de vidéo de commentaires et des photos de projets antérieurs. Je vais aussi fondre quelques éléments de maquette dans du bronze et dans de la résine blanche. J’ai aussi préparé quelques dessins autour du projet. Des vidéos, des photos de l’œuvre et d’environ cinquante autres projets.
Vous êtes aussi un peu ingénieur, en plus d’être artiste ?
D.K : On pense que je suis architecte, urbaniste… mais je ne sais rien de plus que la sculpture. C’est ça mon métier. Je peux travailler avec beaucoup de matériaux, mais je ne suis pas ingénieur, je ne suis pas architecte, je ne peux pas construire. Je suis juste sculpteur. Je connais les données techniques nécessaires, mais je ne peux pas faire l’ingénierie de mon travail. C’est très simple : un architecte sait construire une maison, moi, je ne sais pas.
Je travaille depuis quinze ans au Japon. J’y ai déjà réalisé cinq ou six projets. J’ai aussi fait une exposition dans un musée. J’ai été repéré par les Japonais grâce à une grande exposition française qui montrait l’art dans la ville, en 1991. Au Japon, l’Axe majeur de Cergy-Pontoise a eu de l’importance... parce qu’un projet de trois kilomètres, pour les Japonais, c’était quelque chose. J’y ai donc été invité. Il y a là-bas un grand respect pour mon travail, et on m’a même décerné le Grand Prix de l’empereur (Praemium Imperiale) en 1992.
L’aspect politique, messager de paix de votre travail a-t-il attiré les Japonais ?
D.K : Je pense qu’ils apprécient mon travail pour ce qu’il est. Le message de paix, c’est quelque chose en plus. Mon travail n’illustre pas la paix. Mon œuvre existe aussi sans ce message. C’est dans cette ville, à Murou, qu’est né mon ami sculpteur Bukichi Inoue, aujourd’hui décédé. Je l’avais rencontré à Paris. Il avait mon âge. Il était né au Japon le 8 décembre et moi le 7 décembre à Tel-Aviv, c’est-à-dire le même jour. Et la même année : 1930. Le maire a pensé que je pourrais lui rendre hommage. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler. J’ai par exemple créé un grand lac. J’ai décidé d’utiliser les lignes qui existaient déjà. Naturelles ou non, car il y a aussi beaucoup de lignes créées par l’homme, comme les champs de riz. Mais aussi des bois. Soit je respecte à 100 % le passé, soit je ne fais rien. Le site sera inauguré l’année prochaine au printemps. C’est un projet unique. Il n’y a pas de projet de cette dimension.
Vous travaillez toujours in situ ?
D.K : Je suis un sculpteur qui travaille pour le site. Je commence à travailler seulement si quelqu’un vient me demander un projet pour un site précis.
Quand vous parlez de votre travail, vous parlez surtout d’environnement. Pourquoi ?
D.K : Je réalise des œuvres dans lesquelles les gens peuvent se promener, passer, monter, cadrer le paysage, créer une vue, des parcours : c’est ça mon travail, et c’est pour ça que j’appelle cela des « environnements ». Il crée une liaison entre la nature et l’homme à travers des formes et des matériaux.
Quel est le rapport entre le territoire, la nature et la politique dans votre travail ?
D.K : Mes projets ne naissent pas de l’aspect politique. Ils sont là pour créer une espèce de liaison entre le lieu et l’homme. Tout est alors fait pour l’homme, pour qu’il puisse avoir quelque chose de plus dans ce lieu-là. Et entendre à travers l’œuvre le son… utiliser tous ses sens. Mon œuvre convoque tous les sens.
Je suis une personne très engagée politiquement et personnellement. C’est une chose, et cela entre probablement dans mon travail. J’ai fait quelques projets très politiques. Mais la première chose, pour moi, c’est le lieu. Je le regarde et je me demande ce qu’il attend de moi ; quel matériau, quelle forme il accepterait. J’attends sans savoir si je vais bien le comprendre ou non, car je n’ai pas vraiment de langue pour parler avec la nature.
Du 13 octobre au 10 novembre, galerie Jeanne Bucher, 53, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 44 41 69 65 ; du 5 au 10 octobre, Foire internationale d’art contemporain, Parc des expositions de la porte de Versailles, 75015 Paris, hall 4, stand B9, tél. 01 43 95 37 00.
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Dani Karavan : « Créer une liaison entre la nature et l’homme »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°222 du 7 octobre 2005, avec le titre suivant : Dani Karavan