Choquant ? - Un tableau de Jean-Léon Gérôme, ennemi déclaré du modernisme, en couverture de L’Œil… Aurions-nous donc perdu la tête ? Au XIXe siècle, la question ne se serait jamais posée.
Né à Vesoul en 1824 et mort à Paris en 1904, Gérôme fut l’un des peintres les plus célèbres de son demi-siècle. Héritier du dessin ingresque, élève de Gleyre et de Delaroche, celui-ci fut le flamboyant imagier du Second Empire, un virtuose du pinceau capable de réaliser des peintures plus « vraies » que nature. Cette technicité lui valut lauriers et médailles, lesquels lui ouvrirent les portes des collections princières comme des intérieurs cossus des amateurs entichés de l’art académique des salons. Cette imagerie officielle, « pompière », s’incarne alors dans des représentations d’un Orient fantasmé, fait d’oasis et de marchés aux épices, d’une Antiquité rêvée, celle des gladiateurs… comme dans la représentation, telle Phryné dévoilant sa beauté devant l’aréopage, du nu féminin. Un marché aux esclaves romains (1884), reproduit en couverture, appartient à ce dernier genre : une femme lascive, vue de dos, tente vainement de dissimuler son visage derrière son bras, son voile jeté à terre par le marchand d’esclaves qui s’apprête à la vendre. Habile, la composition suggère le nu plus qu’elle ne le montre, le spectateur étant littéralement suspendu aux regards des clients les plus offrants. Si le sujet, qui fit le succès de son auteur – celui-ci le déclina en plusieurs versions, antique (Vente d’esclaves à Rome) ou orientale (Le marché d’esclaves)–, ne fut qu’un prétexte à peindre une scène à l’érotisme patent, il n’en représente pas moins une scène de marché aux esclaves, donnant une image dégradante de la femme. Ce tableau pourrait-il encore être peint en 2018 ? Quand bien même l’esthétique académique aurait toujours un sens, son auteur s’attirerait, comme l’analyse notre enquête consacrée à « L’extension du domaine de la censure », les foudres de groupes de pression (organisés ou non) et l’ire de la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, portés par des réseaux sociaux courroucés. De fait, il n’est même plus certain que le tableau de 1884 puisse être aujourd’hui repris par une campagne d’affichage pour promouvoir une exposition sur Gérôme – pour celle de 2010, Orsay avait préféré les gladiateurs au nu féminin – ou sur la peinture académique. Schiele, Modigliani ou la Vénus de Willendorf en ont fait les frais récemment. Egon Schiele a vu ses nus, repris sur des affiches pour annoncer des expositions organisées dans le cadre du centenaire de sa disparition, censurés dans plusieurs grandes villes européennes. Amedeo Modigliani, lui, a été à l’origine du renvoi d’un instituteur américain qui avait osé montrer des tableaux célèbres à ses élèves. Quant à la Vénus de Willendorf, elle a vu ses rondeurs paléolithiques malencontreusement censurées par les algorithmes de Facebook. Choqués ?
Électrochoc - Esprit des Lumières, es-tu là ? Les récents bouleversements politiques observés dans le monde, particulièrement dans les démocraties occidentales (l’élection de Donald Trump, le Brexit, les résultats des dernières élections en Italie, etc.), pourraient bien être une opportunité pour la France de retrouver son lustre. Certains voient même, depuis l’élection du président Macron, un « effet 7 mai 2017 » dans la confiance retrouvée du pays et dans l’image que ce dernier renvoie à l’extérieur. Et nos artistes, comme nos institutions, pourraient en profiter. Les indicateurs semblent, en tout cas, être passés au vert, qu’il s’agisse de l’initiative d’Art Paris Art Fair de porter ce mois-ci un regard sur vingt ans de « scène française » ou des projets menés par le collectionneur Laurent Dumas et son groupe Émerige pour soutenir les artistes français (avec, par exemple, le prix Révélations Émerige, l’exposition « Voyage au centre de la Terre » ou la future Fondation d’art Émerige sur l’île Seguin). La France elle-même semble retrouver sa place dans le monde. Lorsqu’il s’est agi pour le Japon de promouvoir sa culture à la veille des Jeux olympiques de 2020 à Tokyo, les Japonais ne se sont-ils pas, en effet, tournés vers la France pour organiser la saison « Japonismes 2018 », et non vers les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la Russie ? En tout état de cause, la France continue d’envoyer des signaux positifs en inaugurant, le mois dernier, l’espace Lafayette Anticipations – Fondation d’entreprise Galeries Lafayette à Paris et, bientôt, le Musée de la Fondation Pinault, à la Bourse du commerce. « France is back ! » « La France est de retour ! », lançait en janvier Emmanuel Macron à la tribune de Davos. Le monde est prévenu.
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Choquant ? Électrochoc
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Choquant ? Électrochoc