Melbourne - Au début des années 1980, Richard Feynman imaginait l’avènement d’un ordinateur quantique dont la vitesse de calcul ringardiserait n’importe quel calculateur classique.
Le prix Nobel de physique inaugurait ainsi des décennies de recherche pour atteindre ce graal. L’unité de stockage d’un tel ordinateur ne serait plus le bit, mais le qubit. Suivant le principe d’intrication de la mécanique quantique, celui-ci se composerait d’une superposition de deux états de base – il pourrait être à la fois 0 et 1 – et autoriserait, de ce fait, une vitesse de calcul exponentielle. Il faudrait toutefois composer avec l’instabilité (ou « décohérence ») des systèmes quantiques, source d’erreurs et obstacle majeur au développement de si puissantes machines.En octobre 2019, Google annonçait pourtant dans la revue Nature que Sycamore, son processeur quantique, venait d’effectuer en 200 secondes un calcul que le supercalculateur le plus rapide du monde aurait mis 10 000 ans à réaliser. La firme de Mountain View atteignait ainsi la « suprématie quantique » rêvée trois décennies plus tôt par Richard Feynman. En novembre dernier, trois chercheurs du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et du Flatiron Institute (États-Unis) vinrent certes relativiser cette découverte, en réalisant le calcul de Sycamore en quelques heures avec un simple ordinateur de bureau… Il n’empêche, avec l’annonce de Google, que l’informatique quantique se dessine un horizon de plus en plus palpable. La promesse est de taille dans certains domaines agrégeant de faramineuses quantités de données (finance, énergie, pharmacie…).Des domaines a priori très éloignés de la création artistique, donc. Et pourtant, par sa manière contre-intuitive d’aborder l’invisible, la mécanique quantique pourrait avoir quelque rapport avec l’art. D’ailleurs, certains artistes s’en saisissent déjà comme une opportunité de renouveler les formes et les représentations. Quantum Memories, une installation « quantique », constitue ainsi le point d’orgue de la triennale de la National Gallery of Victoria à Melbourne, qui se tient jusqu’au 18 avril 2021. La visite virtuelle que propose le site de l’institution n’en donne qu’un pâle aperçu, et pourtant, l’effet « waouh » est palpable. Il faut s’imaginer un écran LED carré, de 10 mètres sur 10, sur lequel un paysage mouvant, sorte de cascade chamarrée, se recompose en éclaboussures de particules au gré des mouvements des visiteurs. Un habillage sonore généré grâce à des données quantiques soutient l’expérience visuelle. Conçue en collaboration avec l’équipe de recherche Google AI Quantum, cette installation est l’œuvre de l’artiste turc Refik Anadol. Elle a été créée par des algorithmes de machine learningà partir de 200 000 images de nature, allant de simples photos glanées sur les réseaux sociaux aux données météorologiques collectées par les satellites. Cette matière hétérogène donne forme à un paysage surréel qui évoque la physique quantique de deux manières : comme technique de calcul et comme thème artistique. L’œuvre se veut en effet une spéculation. Elle figure une nature créée, littéralement imaginée, par une machine quantique. Elle donne ainsi à voir cette chose si difficilement représentable, si hors de portée du sens commun : les mondes multiples de la physique quantique.
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Cantique du quantique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°741 du 1 février 2021, avec le titre suivant : Cantique du quantique