Design

Hommage

Bruno Munari, un poète du design

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2008 - 810 mots

MILAN / ITALIE

Milan revient sur la production de Bruno Munari à l’occasion du centenaire de la naissance de cette figure du XXe siècle transalpin

Milan - Bruno Munari (1907-1998) était un sacré poète. Il y a cinquante ans tout juste, le designer milanais proposa avec force humour de compléter le dictionnaire de la langue italienne par une série de photographies en noir et blanc représentant divers signes de la main, mettant de fait à jour à la fois l’efficacité et l’ironie de ce mode de parler italien sans paroles. En 1945, se fondant sur l’observation des nouveaux comportements, il avait déjà inventé la Chaise pour visites brèves : un siège dont l’assise était si fortement inclinée que l’usager ne pouvait s’y asseoir. Et, dans les années 1980, il produit son œuvre sans doute la plus conceptuelle : une série d’« Huiles sur toile » dans lesquelles Munari illustre littéralement le propos en déversant quelques gouttes d’huile (d’olive ?) sur de larges pans de toile, manière de rendre les mots palpables... Ces pièces font partie, avec quelque deux cents autres, de la vaste rétrospective que propose la ville de Milan à l’occasion du centenaire de la naissance de cette figure du XXe siècle transalpin.
Le parcours, chronologique, se révèle des plus complets, mêlant objets, projets de graphisme ou d’identité visuelle et œuvres d’art. Le visiteur s’étonnera néanmoins de déambuler au milieu d’une scénographie grise et un peu triste, tant l’ensemble présenté respire au contraire la joie de vivre. L’homme est assurément un touche-à-tout de génie [lire les JdA no 205 (17 déc. 2004, p. 12) et no 212 (1er avr. 2005, p. 12)]. Pour preuve : les multiples domaines qu’il explore avec succès. À commencer par le plus marquant d’entre eux, à l’œil s’entend : l’identité visuelle. Munari est, entre autres, l’auteur de la célèbre typographie de la marque Campari, dessinée au début des années 1960 « pour être lisible d’une voiture en mouvement », ainsi que du logo de larégion lombarde, un trèfle à quatre feuilles légèrement « étroitisé », créé en 1974 et encore utilisé aujourd’hui.
Si Bruno Munari débute, à la fin des années 1920, par la peinture – la manifestation s’ouvre sur une série de collages minutieusement ciselés, ainsi Rumore di Aeroplano (1927) ou Viaggio (1933) –, l’art en général constitue le socle de son travail. Avec sa série « Négatifs-Positifs » et ses recherches sur les couleurs, telles ces toiles intitulées Courbe de Peano, il explore la bidimensionnalité, cherchant à préciser sensations et émotions. Mais c’est le passage de la deuxième à la troisième dimension, du domaine virtuel à l’espace réel, qui lui permettra de s’exprimer pleinement, en particulier à travers ses recherches passionnantes sur la continuité et la contiguïté entre ligne, superficie et volume. Ainsi cette série de mobiles suspendus datant des années 1940, baptisés Machines inutiles car mus par le vent, non par un moteur, bel éloge de la contemplation de l’inutile. Avec ses Sculptures de voyage, en poirier ou en carton coloré, Munari opte pour la « fonctionnalité de l’art » et invente un « objet à fonction esthétique », pliable pour l’emporter avec soi dans sa valise et personnaliser les anonymes chambres d’hôtel. Le designer se plaît à braver l’interdit. Ainsi, pour une collection d’imprimés textiles, ici exposés, il n’hésite pas à user du défaut, en l’occurrence les taches d’impression, qu’il accentue et éparpille de manière aléatoire afin d’obtenir des tissus toujours différents.

Éditions pour enfants
L’intelligence de la réflexion de Munari séduit immédiatement. Toutes les firmes italiennes importantes qui œuvrent, après guerre, à la renaissance du pays font appel à lui : les industriels Pirelli et Olivetti, le grand magasin La Rinascente, les éditeurs Einaudi, Corraini et Rizzoli, ou encore le fabricant d’objets Danese. Pour ce dernier, il conçoit en particulier la fameuse suspension pliable Falkland, judicieux mélange entre « un filet de pêche, un bas de femme et une lanterne orientale ». Comme le montrent de nombreux croquis techniques, cette longue chaussette en maille acrylique – 2 mètres de haut – concentre moult qualités : légèreté, modularité, matériau innovant, facilité de montage, packaging réduit et qualité lumineuse. Reste que son projet le plus ambitieux est à n’en point douter ses « laboratoires » destinés à stimuler la créativité enfantine, lesquels seront, dès la fin des années 1970, à l’avant-garde des recherches pédagogiques préscolaire et scolaire. Munari entame notamment un sublime et important travail d’éditions pour enfants avec Corraini. Un exemple : le Livre illisible est un ouvrage dans lequel « les paroles disparaissent pour laisser place à la fantaisie de ceux qui savent imaginer d’autres discours ». Celui-ci est truffé de trous qui jouent sur les juxtapositions et permettent de traverser les pages visuellement... En clair : d’apprendre l’espace.

BRUNO MUNARI, jusqu’au 10 février, Rotonda di via Besana, via Enrico Besana 12, Milan (Italie), tlj sauf lundi 9h30-19h30, jeudi jusqu’à 22h30, www.mostrabrunomunari.it

BRUNO MUNARI - Commissaires de l’exposition : Beppe Finessi et Marco Meneguzzo - Scénographie : Marco Ferreri - Graphisme : Italo Lupi - Nombre de pièces : 200

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°273 du 18 janvier 2008, avec le titre suivant : Un poète du design

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