Boisrobert et Rigaud, narrateurs tridimensionnels

Par Gérald Guerlais · L'ŒIL

Le 22 janvier 2015 - 341 mots

Quand ils ne développent pas individuellement leurs projets graphiques, lui dans l’animation ou dans les applications, elle dans l’illustration pour enfants et adultes, Louis Rigaud et Anouck Boisrobert se plient en quatre pour créer de remarquables livres animés.

Et les deux anciens des Arts décoratifs de Strasbourg de renouveler le genre avec une élégance remarquée. Leur démarche dépasse la démonstration technique, récurrente dans ce genre exploité depuis 1230. Le duo connaît ses classiques et a retenu les leçons des anciens, Bauhaus inclus. Une palette colorée à la Sonia Delaunay ici, des compositions sobres à la Malevitch là. Ailleurs, des aplats dignes de Matisse, se contentant de l’essentiel. Ni textures ni fioritures, et une lumière naturelle qui magnifie les volumes tandis que l’on manipule le livre avec une authentique interactivité, révélant les formes au cours de la lecture. Le tout sans sacrifier à la narration, puisque de réelles histoires achèvent de nous transporter dans leurs univers structurés toujours ouverts à l’imaginaire. Jolie prouesse que de faire perdurer le charme du papier plié et découpé à une époque où les écrans omniprésents hypnotisent nos rétines dans des déluges visuels immersifs.

Quels magiciens peuvent se targuer d’assurer aussi bien le spectacle tout en dévoilant leurs mécanismes ? Car ici réside aussi l’enchantement de leur monde géométrique. La pertinence des découpes, le montage visible des pliages et les encoches confirment combien l’intelligence formelle est à l’œuvre. La forme conjuguée au fond régale l’appétit visuel comme le besoin de sens. Dans Popville, élu plus beau livre français en 2009, émergeait déjà au fil des pages une ville du néant. Les volumes s’imbriquaient dans un équilibre ludique. Au-delà de l’écho aux plaisirs des jeux de construction de l’enfance, on ressentait plastiquement l’éclosion d’une idée. Dans le nouvel ouvrage, Oh ! mon chapeau, toutes les illustrations sont réalisées à partir de dix formes géométriques qui se transforment, se complètent au gré des mouvements du pop-up, et la course folle du chapeau sert de fil conducteur à un récit à la Jacques Tati. Comme livre-objet, on n’y coupera pas.

Anouck Boisrobert, Louis Rigaud, Oh ! mon chapeau, Éditions Hélium, 24 p., 16 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°676 du 1 février 2015, avec le titre suivant : Boisrobert et Rigaud, narrateurs tridimensionnels

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