Bofa… C’est qui ce Gus ?

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 18 mars 2015 - 528 mots

À mi-chemin entre Hergé et Otto Dix, cet « artiste d’artistes » vénéré par nombre d’illustrateurs est mis à l’honneur dans le cadre des Rencontres du 9e art à Aix-en-Provence. L’occasion d’une redécouverte.

Son ami Pierre Mac Orlan disait de lui : « Gus Bofa est avant tout un écrivain qui a choisi le dessin pour atteindre ses buts. » Reconnu par ses contemporains Chagall, Foujita, Mac Orlan ou Pascin et admiré par de nombreux dessinateurs actuels, du regretté Cabu à Tardi via Blutch, Gus Bofa (1883-1968) est un grand dessinateur injustement oublié et encore inconnu du public. Ce créateur polymorphe, qui a traversé deux siècles et qui a vécu deux guerres mondiales, est un autodidacte qui, pendant cinquante ans de carrière, s’est exercé dans la presse comme dessinateur, a réalisé des affiches publicitaires, a écrit des articles, des revues, des contes ainsi que des pièces de théâtre, s’est fait critique dramatique et littéraire (notamment au Crapouillot), a fondé un salon artistique dédié au dessin, celui de l’Araignée en 1920, et a illustré plus d’une cinquantaine de livres.

De l’humour noir
Avec la complicité d’Emmanuel Pollaud-Dulian, qui a publié en 2013 chez Cornélius une somptueuse biographie de cet artiste singulier (L’Enchanteur désenchanté), l’Atelier de Cézanne à Aix-en-Provence propose une exposition patrimoniale montrant les gravures originales ainsi que plusieurs essais et variantes du dessinateur pour illustrer L’Assassinat considéré comme un des beaux-arts (1827) par Thomas de Quincey ; mixant roman noir et ouvrage d’érudition, le livre est une sorte d’essai qui serait l’émanation d’une société d’esthètes des meurtres. Complètement désillusionné de la Première Guerre mondiale, d’où il est revenu invalide à 65 %, Gus Bofa, hanté par le cafard des tranchées, considère que l’homme est amené inexorablement à reproduire le geste fondateur de l’humanité : le meurtre d’Abel par Caïn. Aussi, cet Assassinat considéré comme un des beaux-arts est selon lui le tremplin idéal pour servir sa pensée pessimiste définissant la condition humaine comme un « compromis entre la peur de l’éternité et la peur du néant ».

Le dessin pour écriture
Publié en 1930 aux éditions Eos et tiré à cent trente cinq exemplaires seulement, L’Assassinat illustré par Gus Bofa est considéré à juste titre, par nombre de bibliophiles, comme une des réussites majeures de l’entre-deux-guerres. Le dessinateur, à l’instar d’un Gustave Doré, y va au-delà de l’illustration : il crée une œuvre à part entière, parallèle à celle de l’écrivain anglais. « Un illustrateur, précise ce dessinateur cérébral, ne doit pas être le traducteur du romancier. Cherchez donc un texte qui permette de suggérer des idées au lieu d’un commentaire servile ! »

Cette exposition organisée dans le cadre des Rencontres du 9e art à Aix-en-Provence, dévoilant des eaux-fortes marquées par un trait aigu et une science du clair-obscur, qui laisse libre cours au métier de graveur (affirmation du grain de résine donnant des aplats de différentes valeurs, essuyages…), est vraiment l’occasion de découvrir en Gus Bofa un auteur singulier doublé d’un plasticien virtuose. À mi-chemin entre Hergé et Otto Dix, ce dessinateur de génie, qui cherchait à « dire magnifiquement
et simplement les choses les plus complexes du cœur humain », est à (re)connaître d’urgence !

« Rencontres du 9e art »

Expositions dans plusieurs lieux d’Aix-en-Provence en mars, avril et mai.
Festival à la Cité du livre les 10, 11 et 12 avril.
Ouvert le vendredi de 15 h à 19 h, le samedi de 10 h à 19 h et le dimanche de 10 h à 18 h.
Entrée libre.
www.bd-aix.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Bofa… C’est qui ce Gus ?

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