L’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris retrace l’itinéraire brillant et chaotique de Bernard Lamarche-Vadel (1949-2000), à la fois directeur de revue, préfacier, écrivain, collectionneur et marchand.
PARIS - L’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris se livre ce printemps à un singulier exercice : une exposition sur l’itinéraire de Bernard Lamarche-Vadel (1949-2000), figure de la scène artistique des années 1970 et 1980. Disons-le d’emblée : « Dans l’œil du critique » donne une impression de porte-à-faux. Ici, le visiteur va devoir reconstituer un objet absent, difficile à capter à travers les œuvres : un objet flottant, historique, contradictoire, changeant. L’exposition, disparate et irrégulière, demande — mais cela suffit-il ? — de se laisser porter par les voisinages improbables d’œuvres à voir pour elles-mêmes, au risque d’une sensation kaléidoscopique. Si les pièces sont de belle qualité, elles se trouvent intégrées à des ensembles parfois moins convaincants, ou trop isolés pour que l’on s’en saisisse. Pas toujours facile donc de lire le sous-texte du parcours, qui tient du portrait. C’est bien là la veine, pour qui tentera de suivre le fil du travail du critique Bernard Lamarche-Vadel. Le pari est de refaire par les œuvres le parcours d’un acteur pour le moins singulier de la scène française, du Beuys des années 1975 aux photographes sur lesquels il concentre son attention du début des années 1980 jusqu’à son suicide en 2000. Au-delà des tentations théoriques des années 1970, portées par le courant structuraliste et la production intellectuelle des Barthes et Lyotard, le cheminement de « BLV » est remarquablement discontinu, en tout cas dans son rapport formel aux œuvres. D’où la nécessité de remonter à la personne elle-même, de se rapprocher de l’auteur derrière le critique et de la personnalité derrière le professionnel.
Fin, profond, hanté, caustique, bagarreur, indépendant, grave, faiseur de coups et entrepreneur enthousiaste, brillant, stylé, intempestif, amical, le personnage lui-même ne se laisse pas réduire et il faudra, au-delà des textes critiques mis à la disposition du public au long de l’exposition, rester ouvert aux témoignages de ceux qui l’ont côtoyé pour approcher les facettes d’un insaisissable. De ceux, et des artistes en particulier, qui l’ont connu, revient le même écho au sujet d’échanges indissociablement artistiques et existentiels, de partage et d’engagement.
Après le succès de son premier roman, largement autobiographique, publié en 1993 sous le titre de Vétérinaires (éd. Gallimard), l’écriture a pris un tour de plus en plus affirmé, jusqu’à substituer au discours argumentatif l’accompagnement littéraire. Difficile donc de faire de Lamarche-Vadel un critique exemplaire. Et pourtant... Il en a pratiqué tous les registres, du texte théorique à la chronique, tantôt directeur de revue (Artistes, de 1979 à 1982), préfacier à l’occasion, toujours amateur et authentique collectionneur, parfois marchand et souvent commissaire. La critique en elle-même n’est pas une fin en soi pour lui. Il la relativise, voire la disqualifie volontiers. Et déclare y renoncer en 1989. Ainsi, dans l’un des nombreux enregistrements qui font entendre sa voix dans le cours de l’exposition, sa parole est qualifiée de simple « lubrifiant » de la mécanique artistique, pointe qu’il assortit, railleur, d’une résistance à son propre devenir « burette ». Il aura d’ailleurs fait office de grain de sable plus que d’huile dans la machine institutionnelle, se brouillant volontiers et inventant ses propres solutions en marge des circuits. Ainsi en 1986, quand il monte « Qu’est-ce que l’art français ? » dans un lieu atypique situé près de Toulouse, avec dix artistes qui sont en bonne place à l’ARC : Martin Barré, Jean-Pierre Bertrand, Erik Dietman, Robert Filliou, Gérard Garouste, Gérard Gasiorowski, Jean-Olivier Hucleux, Roman Opalka, Pierre Klossowski, Jean-Michel Sanejouand, Jacques Villeglé — soit une coupe singulière dans le paysage d’alors.
Si le catalogue permet d’accéder aux différentes facettes du personnage, l’exposition ne rend pas les choses aussi lisibles, réunissant des œuvres qui ont fait l’objet de ses commentaires et d’autres issues de sa collection, en particulier autour de la photographie. La chronologie fait apparaître des aspects inattendus et décevants quand, semblant tourner le dos aux économies abstraites qui le retiennent dans les années 1970, Bernard Lamarche-Vadel s’attache à la Figuration libre, en 1981. Le visiteur pourra aussi porter attention aux dates, et relever combien ses partis pris furent précoces et souvent effectués à contre-courant. Au-delà du caractère générationnel de ces choix, l’exposition laisse un étrange goût de chaos habité, conduit par cette exigence de « recherche du seuil d’aveuglement de l’œil humain », formule qui demeure une belle définition de la critique.
jusqu’au 6 septembre, ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, du mardi au dimanche 10h-18h, www.mam.paris.fr
- Commissaire : Sébastien Gokalp
- Nombre d’artistes : 68
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°305 du 12 juin 2009, avec le titre suivant : BLV, le critique exposé