BORDEAUX - Le parti pris curatorial est rudimentaire : une couleur comme seul dénominateur commun aux œuvres présentées.
Mais pas n’importe quelle couleur, celle qui, de Malevitch à Le Corbusier sied naturellement à l’avant-garde, et à laquelle les gestes les plus radicaux de l’histoire de l’art, de l’architecture et du design semblent ne pas avoir dérogé. Sous un titre accrocheur, « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blanc » dessine un chemin de traverse dans les œuvres de la collection du FRAC Aquitaine, à Bordeaux, comme une introduction illustrée à une vaste réflexion sur la modernité et ses héritages. C’est sous cet angle qu’était abordée la question lors de la journée d’étude, « Blanc d’essai », coorganisée avec le centre d’architecture bordelais Arc en Rêve le 28 janvier, et qui devrait être suivie d’une publication. Le blanc est-il la couleur – ou non-couleur – du modernisme ? Elle est d’emblée évoquée en référence à ses pères avec cette réplique démesurée de la célèbre théière suprématiste dessinée par Malevitch. Entre hommage et détournement, Tea Pot de Karina Bisch, tout à la fois sculpture, objet de design ou possible maquette d’architecture en clin d’œil au rêve d’art total, dévoile d’insoupçonnées protubérances biomorphes, entorses désinvoltes à la géométrie, greffons féminins sur l’icône d’une avant-garde masculine. Car l’histoire de l’art a fait du monochrome blanc cet acte révolutionnaire, degré zéro de la peinture, une icône vénérée par des générations d’héritiers encore fervents. De cette nouvelle religion, Katharina Fritsch semble produire les fétiches ironiques dans la série des Bilder, monochromes enchâssés dans de lourds cadres dorés.
Obsession hygiénique
À leur côté trônent d’autres totems de la modernité, exposés dans leurs reliquaires de Plexiglas éclairés au néon. Avec les New Hoover de Jeff Koons, le blanc est sous-entendu et abordé sous l’angle sociologique. Cette obsession hygiéniste rejoint l’utopie artistique dans l’espace vital minimal et aseptisé d’une Cellule d’Absalon, refuge pour échapper au monde moderne. Cette tentation de l’effacement met en question la tradition de l’autoportrait quand Lee Friedlander photographie son reflet dans une vitrine où une feuille blanche vient masquer son visage. Dans ses peintures et ses autoportraits photographiques, où les chiffres et le visage s’effacent dans l’accumulation de la peinture et des années, Roman Opalka déjoue d’une autre manière l’indélébilité de l’histoire. Le long des allées bétonnées du FRAC Aquitaine, où dans les rayonnages apparents rode le souvenir des salles blanches du musée, se déconstruit le mythe du blanc. Le sentiment ambigu de lévitation et de pesanteur inspiré par la sculpture de Pierre Labat, Affinity, rectangle de contreplaqué courbé et suspendu comme une portion de voûte, détrompe le leurre de la surface blanche comme espace de tous les possibles pour suggérer le poids de l’histoire incarné par une couleur intouchable. Intruse dans ce paysage blanc et lisse, la grotte de Lascaux de Thomas Hirschhorn accueille, sur ses parois en film plastique et entre ses stalagmites en papier aluminium, toutes les images de l’humanité piochées dans les magazines (Lascaux III).
L’histoire ne laisse donc aucune page blanche, la table rase reste un mythe et seul l’Holothurie, invertébré détritivore qu’élève Mathieu Mercier dans un aquarium, peut tout faire disparaître sur son passage. Comment s’émanciper de l’autorité moderniste au blason blanc autrement que dans un crime œdipien tel que le tableau blanc éclaté d’Imi Knoebel (Constellation Alba III) pourrait en être l’allégorie ? Cette vénération des pères modernistes que traduit la récurrence des citations mêlée au besoin irrépressible d’en finir s’expie dans la vidéo de Florian Pugnaire, Stunt Lab, où l’artiste se met en scène dans un combat de kung-fu au milieu de son atelier. Le résultat est un empilement cubique de matériaux et de gravats exposé en vis-à-vis comme une antisculpture moderniste.
Commissariat : Claire Jacquet, directrice du FRAC Aquitaine
Nombre d’œuvres : 23
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Blancheur éternelle
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°341 du 18 février 2011, avec le titre suivant : Blancheur éternelle