Biennale d’architecture de Venise : Regard dans la rétroviseur

La Biennale d’architecture de Venise revient avec plus ou moins de bonheur aux fondamentaux

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 862 mots

Placée sous la houlette de Rem Koolhaas, la 14e Biennale internationale d’architecture se démarque des précédentes éditions par sa volonté de revenir aux sources de la discipline. Tandis que l’exposition du Pavillon central parle plus d’architecture que d’architectes, les pavillons nationaux dressent un bilan de la modernité, et font leur mea culpa.

VENISE - Aurait-on trop tiré sur la corde de la prospective ? Le fait est que cette 14e Biennale internationale d’architecture, qui s’est ouverte le 7 juin à Venise, se distingue radicalement des précédentes éditions, lorgnant moins vers l’horizon que dans le rétroviseur. La raison ? La volonté du directeur de cette édition, Rem Koolhaas, de revenir aux « fondamentaux » de l’architecture, d’où le titre, « Fundamentals » [« Principes de base »], et l’intention affichée de parler davantage d’architecture que d’architectes. Ce retour aux sources s’amorce d’emblée dans la vaste exposition « Éléments d’architecture », présentée dans le Pavillon central. Koolhaas se fait ici ultra-didactique, décortiquant quinze notions de construction – sol, couloir, façade, fenêtre… –, résultat d’une recherche menée avec des étudiants de la Harvard Graduate School of Design, à Cambridge (Massachusetts), où il enseigne. Y sont ainsi exhibées les « entrailles » d’un faux plafond, un morceau de façade dite « imperméable » du théâtre Suzanne-Roberts de Philadelphie (Pennsylvanie), une collection de murs en adobe, bois, métal, verre…, ou une insolite saga des… W.-C. Si les étudiants et autres mordus d’architecture vont adorer, le néophyte aura parfois l’impression de déambuler dans un magasin de bricolage. Heureusement, une compilation d’extraits de films montre lesdits éléments d’architecture de manière décalée, voire hilarante.

Italie en ruine

Moins riante est l’exposition déployée à l’Arsenal, « Monditalia », ou « un portrait détaillé du pays d’accueil » selon les termes du communiqué de presse. Et l’entrée façon palais bollywoodien – une installation baptisée Luminaire que le maestro batave Koolhaas a conçue avec le cristallier autrichien Swarovski – n’est qu’un leurre. Derrière cette façade truffée de joyeuses ampoules, c’est une Italie en capilotade que dessinent, du Nord au Sud, une quarantaine de projets. On y découvre pêle-mêle une documentation photographique sur l’évolution des résidences de membres d’organisations mafieuses, un palais des congrès abandonné, érigé en 2009 par Stefano Boeri sur une île au nord de la Sardaigne mais qui n’accueillit jamais le G8 pour lequel il avait été conçu. Y figure également « Les restes d’un miracle », série de photos de chefs-d’œuvre construits pendant l’essor économique des années 1950-1960 et aujourd’hui en ruine, tels la Manufacture des tabacs de Pier Luigi Nervi, à Bologne, et le marché aux fleurs de Leonardo Savioli, à Pescia. La rédemption semble improbable.

« Absorber la modernité »
Dans les 65 pavillons nationaux, ce retour aux fondamentaux se transforme en une collective introspection, sous la thématique commune et un brin provocatrice, « Absorber la modernité, 1914-2014 ». Car, dans nombre de pays, ladite modernité a, le visiteur le constatera de visu, laissé un goût amer. Les Britanniques exposent ainsi non sans ironie leur « Concrete Picturesque » [« béton pittoresque »], lotissements des années 1970 pas si pittoresques que cela, certains ayant servi de réceptacle à des visions plutôt noires, sinon violentes, tels les Hulme Crescents, à Manchester, toile de fond du groupe de rock Joy Division, ou Thamesmead, ce quartier londonien qui fit office de décor « naturel » du film de Stanley Kubrick Orange mécanique. Idem pour le pavillon français qui arbore trois exemples d’architecture ayant subi des revers : la burlesque villa Arpel du film Mon Oncle (1958) de Jacques Tati comme parangon de la maison individuelle, les grands ensembles et la préfabrication lourde, l’imagination constructive de Jean Prouvé, inspirée de l’industrie automobile. Le constat est souvent douloureux… et planétaire. Les Canadiens évoquent avec lucidité la faillite de l’architecture dans l’Arctique, affichant néanmoins quelques pistes nouvelles qui prônent une nécessaire « adaptation ».

Certains se risquent au mea culpa. Ainsi, le pavillon nordique (Norvège, Finlande, Suède) a-t-il invité en ses murs le trio Zambie-Kenya-Tanzanie et fait une critique cinglante de son échec à exporter en Afrique, dès les années 1960, ses propres modèles de société et de modernisation. Symbole : cette usine de congélation de poisson construite au Kenya… qui n’a jamais fonctionné.
Le pavillon israélien, lui, a opté pour la métaphore avec l’installation « The Urburb ». Quatre imprimantes géantes tracent sur du sable du désert « Les modèles de la vie contemporaine », soit un historique de la planification moderniste. Chaque plan ne subsiste que quelques secondes, avant d’être gommé. Un jeu d’inscription/effacement décidément fatal pour l’architecture. Faudra-t-il définitivement oublier la modernité pour partir sur de nouvelles bases ?

FUNDAMENTALS

Les Prix : Lion d’or pour la meilleure participation nationale : Corée ; Lion d’argent pour la participation nationale : Chili ; Lion d’argent pour le meilleur projet de recherche de la section « Monditalia » : Sales Oddity, Milano 2 and the Politics of Direct-to-Home TV Urbanism ; mentions spéciales pour trois participations nationales : Canada, France et Russie ; mentions spéciales pour trois projets recherche de la section « Monditalia » : Radical Pedagogies : Action-Reaction-Interaction, Intermundia et Italian Limes ; Lion d’or pour l’ensemble de son œuvre : Phyllis Lambert.

FUNDAMENTALS

Jusqu’au 23 novembre, Giardini, Arsenal et plusieurs lieux à Venise, www.labiennale.org

Légende photo
Vue du pavillon israélien, The Urburb, à la 14e biennale internationale d'Architecture, Fundamentals, Venise. © Photo : Andrea Avezzù.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Biennale d’architecture de Venise : Regard dans la rétroviseur

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque