D’emblée, ce siège intrigue. En particulier sa texture, étrange. De loin, elle présente un aspect luisant, presque visqueux comme du goudron. De près, cela pourrait ressembler à du rotin ou à du jonc de mer tressé, enduits d’un vernis brillant. La réalisation paraît on ne peut plus artisanale, voire domestique. Idem pour la forme, qu’on croirait taillée à la hache. Rien de tout cela en vérité. La chaise Magic d’Ineke Hans marie au contraire les matériaux les plus actuels : une mousse de polyester enveloppée dans un tissage de fibres de verre, le tout noyé dans une résine flexible qui assure la compacité (1). L’effet est saisissant. Mais il est emblématique du travail d’Ineke Hans, qui prouve par ailleurs, à 40 ans, que l’on peut aisément être néerlandais et designer sans pour autant être passé par la sacro-sainte « Design Academy d’Eindhoven » ou par la rampe de lancement Droog Design [collectif de designers]. Sans pour autant non plus vivre à Amsterdam ou à Rotterdam. Car après des études à la Haute école des arts d’Arnhem, fignolées ensuite au Royal College of Art à Londres – promotion 1995 –, Ineke Hans a choisi de fonder son propre studio à Arnhem même, en 1998.
Son style, si l’on peut parler ainsi, est brut de décoffrage, sinon robuste. Seul souci : être fonctionnel et lisible immédiatement. D’où l’aspect parfois naïf, voire un peu balourd de ses créations. Ce désir de simplicité qui frise l’archétype se traduit, en outre, par l’emploi récurrent de la couleur noire, comme dans cette collection de mobilier pour enfants « Black Beauties » ou dans la série de porcelaines de table « Black Gold ». L’objet acquiert une présence d’autant plus forte qu’il est déshabillé de toute nuance, ostentatoire ou pas.
Folklore high-tech
Graphiquement, certaines pièces font indéniablement penser à des pictogrammes, telle cette série de sept chaises curieuses baptisée Seven Chairs in Seven Days.
D’autres semblent surtout convoquer quelques souvenirs d’enfance, de cette époque où l’on déambulait entre les meubles tel un Lilliputien au pays des géants. Mais le cocktail est beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît, mêlant à la fois techniques vernaculaires ou folkloriques et matériaux high-tech. D’où cette relative familiarité qui peut sourdre de ses créations. « Je pense que le design doit moins se polariser sur la nouveauté, dit Ineke Hans. Il devrait, au contraire, considérer ce que nous avons et connaissons déjà et combiner cela intelligemment avec les savoir-faire du XXIe siècle. » Le mobilier « Ordinary Furniture » évoque des planches de bois grossièrement découpées, or il s’agit tout bonnement de plastique recyclé. La toute récente chaise Fracture, elle, est fabriquée à partir de blocs de polystyrène simplement joints par un bandage sophistiqué utilisé en milieu médical pour réduire les fractures osseuses, un « mélange schizophrénique de matériaux inhabituels », dixit Hans.
Ne pas croire pour autant que la designeuse serait tombée dans le piège d’un bricolage post-« baba cool », bien au contraire. Elle vient d’ailleurs d’obtenir le fameux prix « Red Dot », que décerne chaque année le Design Centre de Nordrhein-Westfalen (Allemagne), pour un bol à soupe et sa cuiller intégrée, édités par la firme néerlandaise d’art de la table Royal VKB. Une récompense qu’elle avait déjà décrochée, l’an passé, pour un étonnant presse-ail en acier inoxydable et en forme de mini-rouleau à pâtisserie. Comme quoi le design franchement industriel ne lui fait pas non plus froid aux yeux.
(1) Dessinée en 2002, la chaise Magic est aujourd’hui éditée en série limitée – 11 500 euros pièce – par la Tools Galerie (119, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 77 35 80), laquelle propose à cette occasion une exposition sur Ineke Hans intitulée « Cheap/Chic ». Le site de la designeuse est www.inekehans.com.
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Au pays d’Ineke
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Au pays d’Ineke