En allant vite, on pourrait dire que le travail d’Éric Rondepierre s’est focalisé autour du cinéma. Seulement, l’artiste n’a jamais cessé de réduire la vitesse des films pour en tirer autre chose. Alors que la galerie Michèle Chomette, à Paris, propose une rétrospective de l’artiste, un ouvrage paru aux éditions Léo Scheer revient sur sa cinéphilie anthropophagique.
“– J’éteins ? – Non... “ En blanc sur fond noir, ce dialogue était une des œuvres les plus descriptives de la série photographique des “Plans de coupe” commencée par Éric Rondepierre en 1989. Plus tardifs, les “Excédents”, des photogrammes noirs munis uniquement de leurs sous-titres, révélaient des erreurs habituellement cachées dans le flux de la projection du cinéma. Un sous-texte que l’artiste ne cesse d’explorer depuis, comme le montre le catalogue rétrospectif qui lui est aujourd’hui consacré par les éditions Léo Scheer.
Parallèlement, les “Annonces-vidéo”, “Annonces-peinture” et “Annonces-film” (1991-1993) traquaient l’apparition de ce texte, sa formation dans ou contre l’image, par là déformée ou ouverte à de nouveaux sens. “Une négation réciproque du visible et du lisible, écrit ici Thierry Lenain dans un essai intitulé Iconologie de la décomposition, mais aussi une sorte d’adéquation paradoxale que le spectateur saisit à travers les rapports de parallélisme ou de congruence qu’il peut établir entre l’image proprement dite et ces taches produites par un texte en instance d’apparition.”
En 1993, avec les “Précis de décomposition”, les taches n’ont plus besoin du texte, elles viennent de la matière, d’une pellicule en ruine débordant sur l’image. Cela donne des spectres (W1536A (Précis de décomposition-Scène), 1993-1995), ou des yeux crevés (W1932A (Précis de décomposition-Masque), 1993-1995) et des films pornographiques où la carnation se déchire par le biais de la chimie (Convulsion (Moires), 1996-1998). Aux disjonctions et adjonctions entre matière et image, Éric Rondepierre a par la suite ajouté celles produites à l’intérieur même du film par les coupures entre les photogrammes, s’arrêtant là où le projecteur passe : entre les images. Les Diptyka (1998-2000), comme les Suites, soudent sur le même format deux vues habituellement écartées par 1/24e de seconde. Une seule fois semble-t-il, Éric Rondepierre s’est éloigné du cinéma, avec les Stances (1996-1998), des vues prises par la fenêtre d’un train en mouvement. Les plus cinéphiles pourront toutefois remarquer qu’il est là encore question de vitesse et de mécanique, sans même avoir à rappeler L’Arrivée d’un train à La Ciotat (1895) des frères Lumière. Pourtant, comme le signifient nombre de textes rassemblés ici (signés par Daniel Arasse, Denys Riout, Jean-Max Colard, Hubert Damisch ou Marie José Mondzain), et en premier lieu la biographie de l’artiste préfacée par Pierre Guyotat, c’est toujours ailleurs, au-delà du cinéma et de ses histoires, que tend le travail d’Éric Rondepierre. “Pendant toutes les années qui ont suivi (1992-2002), je n’ai pas travaillé dans, ni sur le cinéma”, ne peut qu’écrire ce dernier.
- Éric Rondepierre, éditions Léo Scheer, 2003, 192 p., 49 euros, ISBN 2-914172-98-2. À noter que les éditions Léo Scheer publient également Alain Fleischer. La Vitesse d’évasion, livre DVD, 59 euros. - À voir : COUPE RAISONNÉE 1989-2003, Éric Rondepierre, jusqu’au 25 octobre, galerie Michèle Chomette, 24 rue Beaubourg, 75003 Paris, tél. 01 42 78 05 62, mardi-samedi 14h-19h. - PLUS OU MOINS X, Éric Rondepierre et Alain Fleischer, jusqu’au 18 octobre, galerie 14-16 Verneuil, 14-16 rue de Verneuil, 75007 Paris, tél. 01 44 55 01 90, mardi-samedi 14h-19h.
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Au-delà du cinéma
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Au-delà du cinéma