Alternative Réalité - Si, comme l’affirmait Michelet, « chaque époque rêve la suivante », ce rêve prend aujourd’hui une tournure cauchemardesque.
La littérature et le cinéma, mais aussi les médias et les écrits théoriques ou scientifiques contemporains, sont hantés par l’apocalypse. Qu’on la désigne sous les noms d’effondrement ou d’extinction, la fin du monde y apparaît comme la rançon de l’Anthropocène : elle est l’horizon catastrophique de l’hybris technologique et l’issue la plus probable d’une pression exercée sans limites au nom du progrès sur le milieu terrestre. Or, pour Jean-Paul Engélibert, professeur de littérature comparée à l’université Bordeaux-Montaigne et auteur du récent Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse aux éditions La Découverte [250 p., 20 €], les œuvres eschatologiques que la littérature, le cinéma ou les séries prodiguent à satiété ont quelque chose à nous apprendre : « Fabuler la fin du monde n’est synonyme ni de l’espérer ni de désespérer de l’éviter, écrit-il, mais peut signifier tenter de la conjurer et ainsi rouvrir le temps. En élaborant des scénarios de la fin, elles permettent de penser autrement l’histoire : depuis la fin qu’il s’agit d’éviter. » De l’aveu de l’auteur, l’imagination a en effet cette vertu qu’elle nous place devant le kaïros plutôt que le chronos – face à l’opportunité de la transformation, plutôt qu’à la succession quasi mécanique des événements. À la tyrannie du présent qui domine notre époque, elle oppose en effet le temps de la promesse, de l’après, et s’interroge sur ce qui pourrait succéder à la tabula rasa d’un effondrement : extinction totale ? Renaissance au risque de la redite, de la réplication à terme des mêmes erreurs ? Ou au contraire invitation à « recomposer un monde, à pirater les systèmes de contrôle, à déjouer les identités et les rôles que les maîtres de la technique veulent nous imposer, à nouer des alliances inédites et à inventer un monde post-humain par-delà l’apocalypse » ?Si Fabuler le monde agrège un corpus littéraire, cinématographique et télévisuel – du Dernier Homme de Jean-Baptiste Cousin de Grainville, écrit dans le sillage de la Révolution française, au manga cyberpunk Ghost in the Shell –, la portée critique des fictions apocalyptiques n’échappe pas à l’art contemporain. En témoigne la Biennale Nemo, qui interroge cette année la « possible disparition du genre humain », à la fois sous l’angle écologique et celui des nouvelles technologies. Ou l’installation Terre seconde de Grégory Chatonsky, présentée cet été au Palais de Tokyo dans le cadre de l’exposition « Alt+R, Alternative Réalité », qui réunissait trois lauréats des Audi Talents. L’artiste y déployait une fiction spéculative née de l’imagination d’un réseau récursif de neurones. Présentée comme un « monument dédié à la mémoire de l’espèce humaine éteinte », l’installation évolutive rassemblait les formes et les récits produits par une intelligence artificielle nourrie par des quantités de données piochées sur Internet, mais aussi de rêves consignés par la dream bank de l’université de Santa Barbara. Des formes minérales ou organiques vraisemblables, mimétiques, mais post-humaines et hallucinatoires. En croisant deux menaces existentielles contemporaines – la catastrophe écologique et l’hypermnésie du big data –, Chatonsky soulignait ainsi les perspectives ouvertes par l’imaginaire contemporain de l’apocalypse. Perspectives qu’il résume d’une citation d’Ignaz Paul Vital Troxler : « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci. »
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Apocalypse Now
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : Apocalypse Now