Des pieuvres tentaculaires, des élèves en ballon de baudruche prêts pour une leçon de suicide, des meutes de chats savants en costume d’époque ou contemporains... Avec humour et ironie, l’artiste français Alain Séchas, né en 1955, nous dresse le portrait d’une société peuplée de toutes sortes d’animaux et d’antihéros sur fond de références artistiques. Depuis quelques années, les félins aux sourires obliques et aux idées fantaisistes sont les principaux personnages des aventures artistiques conçues par Alain Séchas. Un univers anthropomorphe où se mêlent textes, dessins et sculptures. Rencontre avec l’artiste à l’occasion de son exposition au Palais de Tokyo où, au cœur de son installation et à l’aide d’une torche électrique, chacun cherche Séchas.
Comment sont nées les aventures de « Jurassic Pork » ?
Le « Jurassic Pork » était une création pour l’exposition organisée au centre d’art Le Consortium à Dijon en 2001. Là, il y avait déjà le cochon ailé, comme une chauve-souris dans une grotte, qui à la fois éclaire la salle – c’est le seul moyen d’éclairage en dehors des torches que le spectateur utilise – et nous aveugle. Et en montant, en descendant et en tournant sur lui-même, ce cochon éclairait partiellement les dessins peints directement sur le mur. Ces dessins n’avaient d’ailleurs pas forcément de liens entre eux. C’étaient plutôt des coupures de journaux, relatant de petits faits de société.
Au Palais de Tokyo, le « Jurassic Pork II » a un côté « forêt », et le personnage principal est devenu secondaire, comme souvent dans les deuxièmes versions des films. Siegfried et la grande Artemiss le rejoignent. Ce sont des créations nouvelles qui augmentent le projet et le cycle de dessins. Quand le spectateur pousse le rideau, il ne sait pas ce qu’il va voir, mais il est déjà en prise avec un jeu de mots lié au monde du cinéma. Quand on entre, le « Jurassic Pork » est frontal, central, les ailes levées, et ses yeux s’allument.
Qui est Siegfried le chasseur ?
C’est le personnage principal d’une saga fantaisiste, d’une course autour de la salle un peu épuisante et épuisée puisqu’il ne se passe rien… C’est une fausse histoire. Il court après une proie comique nommée « Jurassic Pork », une proie qu’il ne parviendra jamais à voir alors qu’elle est finalement là, sous nos yeux en permanence. C’est un antihéros un peu benêt qui s’empêtre dans ses spartiates, dans son arc, son carquois ; il poursuit une espèce de quête un peu idiote du Jurassic Pork sans qu’on ne sache bien pourquoi.
Quel est le rôle des torches fournies au visiteur pour déambuler dans cette installation ?
J’ai choisi un format de dessin qui puisse couvrir l’intégralité des murs, et ces dessins sont conçus selon un mode de lecture avec la torche ; le visiteur découvre une multitude de petites blagues dans tous les coins et chaque coup de torche correspond en quelque sorte à une pulsion désirante de lecture sur le dessin. Et l’histoire avance comme cela. D’ailleurs, on ne voit pas tout de suite qu’il s’agit d’une histoire. Si l’on fonce à travers le brouillard vers le milieu de la salle, on trouve un dessin, puis on s’aperçoit qu’il y en a aussi à droite et à gauche ; enfin on reconstitue le sens de lecture dans un après-coup.
Que le visiteur avance à tâtons, se perde, fait-il partie de la mise en scène ?
J’aime bien cette analogie : être perdu dans la forêt ou dans l’exposition. On tranche vraiment le brouillard. Je tiens beaucoup au fait que, l’espace d’un instant, l’on ne se trouve plus dans un espace culturellement inscrit – l’institution muséale – mais que l’on soit vraiment dans quelque chose dont on a honte de ne pas s’être souvenu tout de suite, comme peut-être la forêt de notre enfance… Impression qui, ensuite, dans un après-coup, quand tu l’analyses, est très commune et très banale.
C’est pour ça que j’ai voulu une vraie construction pour la façade : quand tu entres, tu pousses les doubles rideaux… Je voulais ce côté presque pneumatique de l’entrée dans la forêt, et tous ces éléments contribuent à ce que l’on s’arrête pour y croire l’espace d’un instant, le temps de la visite.
Est-ce aussi une façon nouvelle de vivre le récit, lequel n’est pas linéaire, avec un début et une fin, mais est à vivre de l’intérieur ?
Oui, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une fausse bande dessinée. C’est théâtralisé, fortement cinématographique dans tous ses aspects, ne serait-ce que par la lumière. Pour moi, le dessin est quelque chose de projectif ; il se projette sur vous fortement. Un peu comme la lumière à laquelle vous n’échappez pas.
À la différence de Dijon où le cochon éclairait simplement, comme une torche de spéléologue, la grotte, ici on a plus l’impression que les sculptures ont sauté de l’histoire, des dessins, et sont là devant nous… C’est très étrange à la fois de voir les personnages dessinés et d’aller se buter contre les figures en volume.
C’est une façon d’entrer dans le récit, c’est comme passer de l’autre côté du miroir…
Voilà, c’est ce mouvement-là qui me passionne.
Jusqu’au 5 juin, Palais de Tokyo, Site de création contemporaine, 13, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, tlj sauf lundi de midi à minuit. www.alainsechas.com
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Alain Séchas : « Que le dessin se projette sur vous fortement »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Alain Séchas