Le nombre de masters spécialisés ne cesse d’augmenter, sans coordination ni prise en compte des capacités réelles d’emploi du secteur.
Le secteur culturel fait recette. Les formations aux métiers dits « de la culture » témoignent du nombre toujours croissant de demandes. Pourtant, le secteur ne pourra pas éternellement pourvoir autant d’emplois que cet engouement l’exigerait. L’université publique et les grandes écoles proposent aujourd’hui sur le territoire national des centaines de cursus répartis en deux sous-secteurs. D’un côté, les formations du « management de la culture » vont de la plus généraliste (Dauphine) aux plus précises (« management et carrières d’artistes » en musiques actuelles, à Lyon II, ou « Professionnels du marché de l’art » à la Sorbonne, en partenariat avec Christie’s). De l’autre côté, la gestion et la valorisation du patrimoine intègrent la médiation, la muséologie, la politique des publics… En 2007, selon la dernière étude globale réalisée par l’observatoire des politiques culturelles pour le ministère de la Culture et de la Communication (2008), il y avait 282 formations de ce type, dont 168 donnant le grade de master. Sept ans plus tard, on peut estimer que le nombre de masters a dépassé les 200, ce qui revient à former plus de 5 000 étudiants par an pour le secteur (1). Si l’étude de 2008 se félicite que l’université ait su répondre à une demande de professionnalisation sur le long terme du secteur, elle relève aussi déjà la problématique de l’inflation: le chômage et la précarisation des emplois posent la question du nombre d’étudiants et de leur surqualification. Or le constat s’accentue aujourd’hui, avec la contraction des moyens publics. Du point de vue pédagogique, le constat était bienveillant, et la tendance se confirme : l’équilibre entre matières techniques et matières culturelles est surveillé, l’intégration des professionnels dans les équipes pédagogiques est croissante. Le rapport critiquait aussi une dimension internationale trop faible : des changements ont commencé à s’opérer, comme à Bordeaux où le master « ingénierie de projets culturels et interculturels » s’est tourné vers l’Europe. Mais les bons exemples sont encore isolés.
Un suivi professionnel inabouti
Le bilan était nettement plus sévère concernant l’évaluation : autoévaluation insuffisante, suivi des anciens étudiants inexistant. De ce point de vue, presque rien n’a changé depuis 2008. Concernant la mesure de l’insertion post-diplôme, la première raison avancée pour expliquer cette insuffisance est technique : quand elle est confiée au bureau de la vie étudiante, ce service central de l’université non spécialiste du secteur collecte peu de données. Si elle est assurée par le master lui-même, au mieux, il existe un mini-réseau social fondé sur le déclaratif et une adresse mail abandonnée au gré de la carrière… Au pire, les responsables ne s’y attellent pas : « à côté des enseignements, il ne me reste environ que sept heures par semaine pour diriger la formation : maquette pédagogique, recrutements, évaluation… c’est peu », explique l’un d’eux. Il y a encore des blocages idéologiques de certains enseignants qui marquent de la défiance à l’égard des entreprises : « Pour beaucoup d’étudiants, l’idée n’est plus d’avoir une colonne vertébrale intellectuelle mais uniquement d’acquérir des compétences en vue d’être employable. Il faut réfléchir au rôle de l’université. » Pourtant, la loi de 2013 rend obligatoire ce contrôle de l’insertion professionnelle : quel type de contrat ? Le niveau de salaire est-il en adéquation avec le profil très qualifié ? Aucun master interrogé par nos soins ne dispose de ces informations sur les trois dernières années.
Idem pour l’évaluation des enseignements par les étudiants, qu’à peine 20 % pratiqueraient. Pourtant le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) intégrera ces données dans son évaluation, qui comptera pour beaucoup dans les prochaines habilitations octroyées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. C’est un grand changement culturel qui se profile pour l’université.
Quelle concertation, pour réguler l’offre et la demande ? Le rapport préconisait une « triennale des formations » ou l’entremise de la Conférence des présidents d’université. Aucun directeur interrogé n’a eu vent d’une telle initiative. Tristan Azzi, codirecteur du master de la Sorbonne, estime que « ce type de coordination n’est pas, historiquement, dans la culture des universités. Or la loi LRU [relative aux libertés et responsabilités des universités] et les classements internationaux n’ont fait que renforcer ce phénomène. » Seul outil indirect de régulation, les évaluations du HCERES auront donc un grand rôle à jouer dans les années à venir, tant le besoin criant de coordination semble en contradiction avec l’autonomie croissante des universités.
(1) Estimation basée sur le recensement réalisé par l’ONISEP en 2012 et recoupée avec le Registre national de certification professionnelle, auquel l’inscription des formations est désormais obligatoire.
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L’inflation des masters culturels
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Abonnez-vous dès 1 €L'université de Rennes 2. © Photo : T. Merel.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : L’inflation des masters culturels