Il est question de fausses confidences dans la pièce, mais pour une bonne raison : le triomphe de l’amour, au prix de ruses et de remises en cause de l’ordre social.
Théâtre - Un homme sans richesse mais de belle figure (Dorante) se met en tête de conquérir une jolie veuve sans condition, mais richement dotée (Araminte). Il s’éprend d’elle en la voyant un soir à l’opéra. Elle ne le connaît ni de vue, ni de réputation. Mais, aidé par son ancien valet (Dubois), il se fait embaucher comme intendant dans sa maisonnée. Le soir même, ils seront mariés ! Il faudra évidemment surmonter de nombreux obstacles, contrarier d’autres projets de mariages arrangés et user de stratagèmes élaborés pour arriver à ce happy end.
Vue de nos jours, la pièce de Marivaux (1688-1763) paraît bien tendre, mais on oublie que cette critique radicale des ordres établis a ému les confrères du dramaturge, qui la trouvaient immorale, tandis que les pré-révolutionnaires y verront à l’inverse une œuvre culte, si bien que le succès de sa reprise au Théâtre-Français en 1793 fit oublier l’échec de la création en 1737. Quand on dépasse la sophistication du texte, sorte de dentelle fine à l’apogée de la langue française, on découvre un système implacable de manipulation, fut-ce pour une cause noble. De toutes ces ruses, celle qui est au cœur de l’intrigue est la plus sournoise : il s’agit pour Dorante de faire « naître l’amour de l’amour-propre », en renvoyant à celle qu’il convoite une image flatteuse qui lui fait presque perdre la raison, le tout en quelques heures… À bout de résistance psychologique et tentée par cet homme qu’elle trouve tout de même très à son goût, Araminte fait le choix de l’amour (sincère), mais aussi du scandale (social). « Le coup de foudre de Dorante conduit au coup de force d’Araminte », écrit Alain Françon, qui ose ici, après La Seconde Surprise de l’amour, une nouvelle mise en scène très classique qui restitue avec d’excellents interprètes la profondeur, le comique voire la rugosité d’une pièce en apparence précieuse, sans en ôter une ligne. Révéler une œuvre dans ses complexités comme dans sa vérité est la marque de fabrique d’un passeur qui, durant toute sa carrière, a su rendre les textes intelligibles, et les spectateurs intelligents.
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Le noble art de la manipulation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°782 du 1 janvier 2025, avec le titre suivant : Le noble art de la manipulation