Sous le titre \"Les galeries d’art en France aujourd’hui\", le Comité des galeries d’art publie le 15 décembre les actes du colloque qu’il avait organisé en juin (éditions de L’Harmattan, collection “Logiques sociales”?). Au-delà des classiques plaidoyers pour un moins disant fiscal ou parafiscal, la plupart des réflexions tournent autour de celui qui semble être le grand absent du marché : le collectionneur. Ce premier article examine une inadaptation croissante du marché français. Dans notre prochain numéro, nous verrons comment faire revenir les collectionneurs sur le marché français de l’art contemporain, à partir des propositions des galeries.
PARIS - La publication des actes du colloque permet de dépasser l’impression de résignation qu’avait laissée la rencontre. Si les communications ne débordent pas d’optimisme, elles ont le mérite d’identifier certains problèmes, franco-français ou européens, face à l’enviable prospérité américaine. Différentes interventions, en particulier celles des galeristes Bernard Zurcher et Anne de Villepoix ou de la sociologue Raymonde Moulin, soulignent une inadaptation croissante du marché français. Bernard Zurcher stigmatise "un déficit de confiance qui n’a cessé de s’aggraver au cours des vingt dernières années". Ce retard, qui désoriente les collectionneurs, trouverait sa source dans un déséquilibre entre la valeur culturelle de l’œuvre d’art et sa valeur marchande, celle-ci étant écrasée par celle-là, dans un mouvement accentué par le rôle prépondérant des institutions publiques, "qui représentent en France l’unique instance de légitimation". Au contraire, la collection “n’est pas une action jugée en France suffisamment valorisante" et, faute de "conditions fiscales permettant d’exorciser l’idée qu’il est mal de collectionner, il ne faut pas s’étonner que les collectionneurs français trouvent en général toujours trop chères les œuvres des artistes français".Dans le même temps s’est créé un effet de cisaille, relevé par Anne de Villepoix. Dans les années quatre-vingt, les galeries françaises, mais également européennes, portées par un marché fort, ont développé des structures de "production“ coûteuses (archivage, promotion en France et à l’étranger...). Ces prestations demeurent alors que le marché continental a fondu, sans être relayé par les États-Unis qui achètent peu d’œuvres européennes, notamment parce que les galeries européennes, mal protégées juridiquement, n’ont pas su travailler en réseau, pratiquer l’échange (artistes américains contre artistes européens, commissions équivalentes...). Ce phénomène est accru par l’individualisme des opérateurs et des artistes : “Dès qu’un artiste français devient un peu international, il va évoluer comme un électron libre“, sans référence à sa galerie française ou à une communauté d’artistes identifiés indispensable à leur reconnaissance par les collectionneurs.
Au bénéfice des auctioneers
Raymonde Moulin insiste sur la mondialisation du marché et les effets pervers de l’institutionnalisation à la française. Si le marché était déjà très international, “il n’excluait pas le maintien de marchés locaux, régionaux et nationaux“. Mais le processus de concentration – en particulier du fait des grandes maisons de ventes aux enchères – ainsi que l’accès à de nouveaux gisements pour renouveler l’offre (la sociologue cite l’engouement des négociants américains pour les créations d’Amérique latine) jouent contre les galeries, auxquelles le marché échappe au bénéfice des auctioneers en période d’euphorie – cela s’est clairement manifesté en France dans les années 1988-1990 – pour ne leur revenir que lorsqu’il faut défendre les prix en période de dépression.
Pour contrer cette évolution qui lamine les galeries, Raymonde Moulin propose de “reconstruire la scène artistique face aux firmes dominantes, par lesquelles passe rarement l’innovation“. La proposition se boucle par un appel à l’action des jeunes galeries, seules capables “de pratiquer cette politique dynamique d’innovation indispensable“.
Pour y parvenir, la sociologue estime qu’il faut corriger les “effets pervers“ de l’institutionnalisation du marché, en particulier les achats publics directs aux artistes, préjudiciables aux galeries, et l’itinéraire franco-français qui n’assure pas une représentation suffisante des créateurs sur les lieux du marché (foires, etc.). Sa conclusion rejoint celle de Bernard Zurcher lorsqu’elle souligne un sentiment de culpabilité des artistes bien rémunérés ou celui des marchands qui se sentent, “dans certains cas, moins respectables que les personnes qui ne font que produire du discours sur l’art”, ce qui revient à dire que les artistes et les galeristes français ne peuvent s’imposer auprès des collectionneurs.
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Le collectionneur, ce grand absent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°48 du 21 novembre 1997, avec le titre suivant : Le collectionneur, ce grand absent