Homme de l’ombre, l’ingénieur du bâtiment et des travaux publics permet la construction des ouvrages d’art et des bâtiments les plus complexes.
Qui, hormis les spécialistes, connaît Michel Virlogeux ? Alors que la France entière a pu s’extasier devant les images du viaduc de Millau (Aveyron) et entendre son architecte, Norman Foster, s’exprimer sur cet exploit technique, personne n’aura retenu le nom de l’ingénieur qui a conçu sa structure, à la tête d’une armée d’ingénieurs tous plus chevronnés les uns que les autres. L’affaire n’est pourtant pas exceptionnelle et, mis à part Gustave Eiffel ou Jean Prouvé, rares sont les ingénieurs constructeurs à être passés à la postérité. Pourtant, dès qu’un chantier apparaît complexe, la maîtrise d’œuvre est assurée de concert par un ingénieur spécialisé et un architecte. Même si l’histoire de l’architecture témoigne de la complexité de leurs relations.
Dès la Renaissance, avec notamment une figure comme Leon Battista Alberti, une séparation tend à s’opérer entre le concepteur du projet architectural et celui qui en assurera la réalisation. C’est au XIXe siècle toutefois que la véritable coupure intervient. Alors qu’apparaissent les matériaux de la modernité – le métal puis le béton –, la plupart des architectes, pétris de leur culture « beaux-arts », refusent d’avilir leur art à ces produits de l’industrie, jugés peu compatibles avec la noblesse de leur discipline. S’ensuit une rupture progressive avec la connaissance des systèmes constructifs modernes, qui relèvent dès lors de la compétence des ingénieurs tandis que l’architecte se cantonne à un travail sur la forme et la mise en espace. En 1867, César Daly posait la question sans ambages dans la Revue générale d’architecture : « L’architecture est-elle destinée à disparaître devant le génie civil ? L’ingénieur absorbera-t-il un jour l’architecte ? »
La structure, une clé
Si le clivage persiste aujourd’hui, l’étroite collaboration dont relève le travail de maîtrise d’œuvre tend cependant à estomper cet antagonisme et certains professionnels ont désormais une double compétence. L’audace de quelques architectures récentes n’aurait en effet pas pu exister sans la compétence des bureaux d’ingénierie. En 2004, le centre d’architecture bordelais Arc en rêve consacrait pour la première fois une exposition au travail de Cecil Balmond, du bureau Arup de Londres, l’un de ces hommes de l’ombre sans qui des architectes comme Daniel Libeskind, Rem Koolhaas ou Shigeru Ban ne pourraient assouvir leur goût pour les formes complexes. Totalement méconnu du grand public, ce dernier s’est imposé comme un personnage incontournable de l’architecture, grâce à sa capacité à formuler des réponses techniques aux spéculations plastiques les plus complexes des architectes. « On peut faire beaucoup mieux au niveau structurel que de céder au sempiternel binôme poteaux-poutres, expliquait-il à cette occasion. Les dalles peuvent se plier et agir comme des lignes de force verticales, les poutres peuvent bifurquer et changer de profil, les colonnes peuvent servir de poutres, tous les ingrédients sont à notre disposition pour faire évoluer la forme dans des directions fascinantes. L’enjeu est de faire de la structure la nouvelle discipline clé dans une redéfinition de l’espace. » On comprend là aisément à quel point le couple ingénieur-architecte ne peut être indéfectible.
Pénurie de professionnels
Là où la profession d’architecte relève du conceptuel, celle de l’ingénieur demeure purement scientifique et technique. Travaillant à partir des plans et des esquisses de l’architecte, ce dernier va réaliser un avant-projet qui permettra de valider les propositions et de leur apporter une réponse technique. Il faut ainsi calculer toutes les dimensions de l’ouvrage – y compris celles des coffrages et des ferraillages de béton –, prévoir les matériaux, déterminer les procédés techniques et définir les méthodes d’intervention et d’exécution. « Nous calculons toutes les sollicitations auxquelles les structures seront soumises, explique un jeune professionnel, qu’elles soient climatiques, géologiques ou physiques. » Primordiales sur le plan de la sécurité, ces étapes permettent aussi de chiffrer le coût de la réalisation avant que le projet n’entre en phase de réalisation.
Si les possibilités de carrière sont multiples – au sein de l’administration, en tant que salarié d’un bureau d’études, d’un groupe du BTP ou d’un cabinet d’architecte –, le secteur du bâtiment souffre aujourd’hui d’une pénurie de professionnels, la plupart des ingénieurs étant attirés par des industries plus valorisantes. Outre une grande compétence scientifique, la profession requiert d’être capable de travailler en équipe, mais aussi d’être doté d’une réelle rigueur et d’un sens aigu de l’organisation. Autant de conditions indispensables à la viabilité des chantiers.
Une trentaine d’écoles forment des ingénieurs du secteur du bâtiment et des travaux publics. Recrutement sur concours à bac 2 Formations d’une durée de 3 à 5 ans. Parmi ces écoles : - École nationale des ponts et chaussées, 6-8, avenue Blaise-Pascal, Cité Descartes, 77454 Champs-sur-Marne, tél. 01 64 15 30 00, www.enpc.fr - École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie, 57, boulevard Saint-Germain, 75240 Paris Cedex 05, tél. 01 44 41 11 18, www.estp.fr - École supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction, Campus 2, 14620 Epron, tél. 02 31 46 23 00, www.esitc-caen.fr - Institut supérieur du béton armé, IMT Technopôle de Château-Gombert, 13451 Marseille Cedex 13, tél. 04 91 05 45 05.
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Ingénieur structure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : Ingénieur structure