Cette spécialité des métiers du cuir, qui a connu son dernier apogée à l’époque de l’Art déco, perdure malgré la disparition des formations.
Si l’on dénombrait quelque sept cents professionnels parisiens à la fin du XVIIIe siècle, il n’existe aujourd’hui plus qu’une dizaine de gainiers d’art à exercer dans toute la France. Plus rares encore sont ceux qui maîtrisent toutes les facettes du métier, notamment le savoir-faire en matière de traitement des cuirs. Par définition, le gainier fabrique des gaines, des étuis, des fourreaux ou des accessoires de bureau (écritoires, sous-main, coffrets…) qu’il revêt de cuir, mais aussi de tissu ou de papier. « De nombreux gainiers travaillaient à l’origine sur les revêtements de tissu des intérieurs d’armoire », souligne un professionnel. L’activité s’étend désormais à l’habillage extérieur de petites pièces de mobilier : sièges, paravents, tables à jeux ou à écrire. Si la corporation des gainiers existe en France depuis le XIVe siècle, l’usage des garnitures de cuir trouve son origine en Orient. C’est au cours de la conquête arabe que les artisans ont introduit ce savoir-faire en Andalousie, notamment à Cordoue. La ville a ainsi laissé son nom aux cuirs travaillés par estampage, même si cette spécialité a rapidement proliféré dans toute l’Europe, en particulier à Venise, haut lieu de la peausserie italienne. L’usage du cuir se répand alors jusque dans les décors intérieurs. En alternative aux fresques mais surtout aux tapisseries flamandes, coûteuses et peu adaptées au climat méditerranéen, les artisans créent de grandes tentures de cuir afin de revêtir les murs des pièces d’apparat des résidences nobiliaires. Les peaux sont retravaillées par gaufrage ou estampage à l’aide de planches imprimées ou de fers, l’ensemble étant parfois rehaussé de fines ciselures. Vernis, pigments, feuilles d’or ou d’argent sont ensuite appliqués sur la surface de la peau afin de créer un décor de blasons, d’arabesques ou de frises végétales, comme en témoignent certaines pièces de musées. Cette mode a en effet connu un vif succès dès le XVIe siècle et s’est diffusée dans toute l’Europe, avant de disparaître dès le milieu du XVIIIe siècle. C’est alors que les artisans se reconvertissent dans la gainerie de coffrets ou dans la garniture de mobilier. L’habitude se répand en effet de protéger tout objet précieux par un écrin en cuir, ce qui assure la pérennité des ateliers. Les matériaux de prédilection sont alors le maroquin, c’est-à-dire la peau de chèvre, très souple et donc plus facile à travailler, ou encore la basane ou peau de mouton. D’autres font leur apparition, comme la peau de poisson, attestée en Extrême-Orient depuis le VIIIe siècle mais introduite sous Louis XV par un certain Jean-Claude Galluchat. Ce « cuir des océans » sera remis à la mode avec le développement de l’Art déco, lorsque des ensembliers tels que Clément Rousseau puis Jean-Michel Frank ou Jacques-Émile Ruhlmann relancent la mode du galuchat (désormais avec un seul « l »), encollé sur des petites pièces de mobilier ou des objets. C’est principalement pour la restauration de ces pièces anciennes qu’œuvrent aujourd’hui les professionnels de la gainerie. Ainsi de l’atelier Lemerle, à Paris, créé en 1958. Celui-ci est désormais animé par deux frères, Xavier et Bruno Lemerle, qui ont été formés par leur père. En collaboration avec des décorateurs, les frères Lemerle réalisent, outre des restaurations pour des musées et des collectionneurs, le gainage de mobilier contemporain mais aussi des tentures murales, notamment pour des intérieurs d’ascenseur. L’atelier est aussi l’un des derniers où sont réalisées les teintures du cuir à la main, à base de pigments naturels, ainsi que la dorure à la feuille – répandue sur les bureaux et les tables à jeu –, appliquée au fer à dorer. « Cette profession manuelle, qui exige une certaine dextérité, constitue en réalité l’aboutissement de plusieurs métiers : futier, gainier, doreur… », confirme Philippe Martial, un professionnel parisien qui a lui-même suivi un parcours atypique de doreur et de relieur. Le savoir-faire du gainier a en effet disparu des enseignements artisanaux depuis plus d’une dizaine d’années. Seule une formation en maroquinerie complétée par une pratique en atelier permettra donc aux aspirants gainiers de s’engager dans cette voie professionnelle difficile.
Il n’existe pas de formation initiale spécifique en gainerie. Plusieurs centres de formation et d’apprentissage (CFA) ou lycées professionnels dispensent en revanche une formation à la maroquinerie. CAP ou BEP en deux années.
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Gainier d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : Gainier d’art