Profession

Doreur-ornemaniste

Le Journal des Arts

Le 23 janvier 2004 - 802 mots

Héritier d’une tradition séculaire, cet artisan d’art redonne aux bois, bronzes et stuc dorés leur éclat d’origine.

L’art de la dorure remonterait à environ 2 300 av. J.-C., comme en témoignent des peintures égyptiennes figurant des orfèvres en train de battre l’or pour en faire des feuilles. Également utilisée par les Phéniciens et les Chinois durant l’Antiquité, puis par les Byzantins qui en firent largement usage dans les icônes et les mosaïques, cette technique gagna au fil des siècles de nouveaux supports, illuminant le bois (cadres, sièges), le staff (décor de plafonds, corniches) ou le bronze… De ce savoir-faire séculaire nécessitant la maîtrise d’une vingtaine d’opérations, les doreurs ornemanistes sont aujourd’hui les dépositaires. Notre siècle étant peu porté sur le doré, ces artisans spécialisés se consacrent essentiellement à la restauration d’objets d’art, de mobilier ou d’éléments de décoration architecturale pour le compte de particuliers, d’antiquaires, ou de monuments et musées nationaux (1). Ils reproduisent des gestes et des « recettes » qui ont peu varié depuis le Libro dell’Arte (1437) de Cennino Cennini : l’apprêt, la reparure, l’assiette, la pose de la feuille d’or et la finition. Composé d’un mélange de blanc de Meudon et de colle de peau de lapin, l’apprêt, appliqué en 8 à 12 couches puis poncé, est un enduit aqueux destiné à reboucher les imperfections du support et à lisser la surface poreuse du bois. Empattés par ces épaisseurs de blanc, les éléments sculptés sont ensuite remodelés, ciselés et gravés à l’aide des fers à reparer, une étape délicate requérant aptitudes au dessin et sens des volumes. Les parties destinées à recevoir la feuille d’or sont ensuite enduites d’une préparation dense et lisse appelée « l’assiette ». Cette mixture à base d’argile (« bolus » ou « bol d’Arménie ») et de colle de peau de lapin active les propriétés brillantes et métalliques de l’or. « La technique de la dorure sur bois à la détrempe était à l’origine utilisée pour imiter l’or massif », rappelle le doreur Jean-Pierre Galopin. Enfin, la surface à dorer est progressivement mouillée à l’aide d’un pinceau dit « mouilleux », l’eau permettant de happer et de fixer la feuille d’or au support. D’un dix-millième de millimètre d’épaisseur, celle-ci est déposée par l’intermédiaire de la palette à dorer, un large pinceau de martre. L’étape du brunissage – l’or est poli avec une pierre d’agate – apporte à l’objet la brillance désirée (en général, les creux restent mats pour accentuer le relief des ornements), tandis que la patine (une colle de peau diluée additionnée d’aquarelle) donne aux parties restaurées la teinte et l’usure du reste de l’œuvre. « Si la technique varie peu, les doreurs ne travaillent cependant pas tous dans la même optique », précise Laurence Gillery, elle-même fille de doreur et doreuse depuis vingt ans. « Pour certains, il est indispensable que les interventions de restauration soient imperceptibles, qu’elles se fondent dans l’existant. Pour d’autres, c’est le contraire : il faut que cela se voie, que ça brille ! » D’après cette professionnelle spécialisée dans la restauration des baromètres au mercure, un bon doreur doit savoir ne pas se mettre trop en avant.

Un regain de bon aloi
« Le métier connaît depuis deux ou trois ans un regain d’activité », constate avec optimisme Jean-Jacques Gentil, secrétaire général de l’Unama (Union nationale de l’artisanat des métiers de l’ameublement). La situation n’en reste pas moins difficile dans un secteur soumis aux aléas de la conjoncture et à une forte concurrence. Seule formation préparant actuellement au métier, le CAP (2) de « doreur-ornemaniste » (trois ans en apprentissage) peut permettre d’intégrer une entreprise artisanale. Mais le nombre d’ateliers est restreint – il est estimé à une centaine en France, et à une dizaine à Paris –, et les grandes entreprises familiales offrent parfois des perspectives limitées. « Après avoir été initiée au métier par mon père, j’ai voulu expérimenter une autre manière de faire, et j’ai intégré différents ateliers. Mais les femmes étaient cantonnées aux étapes de finition, et les patrons n’incitaient pas les ouvriers à s’impliquer réellement dans leur travail », raconte Laurence Gillery, pour qui il est fondamental de « s’intéresser à l’objet que l’on restaure ». « L’approche technique ne suffit pas, confirme Jean-Pierre Galopin : il est important d’avoir une démarche à la fois historique et artistique, c’est-à-dire de comprendre l’évolution des arts décoratifs et de l’ornement.» Une philosophie qu’il a récemment appliquée à la restauration du foyer des artistes de la Comédie-Française ou du reliquaire en bois doré de la cathédrale Saint-Louis à Versailles.

(1) L’intervention dans les musées nécessite, depuis 2002, une habilitation délivrée par la direction des Musées de France.
(2) Un seul Centre de formation par apprentissage (CFA) délivre actuellement ce CAP, La Bonne Graine, 200 bis bd Voltaire, 75011 Paris, tél. 01 43 72 22 88.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Doreur-ornemaniste

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