Forte de son prestige, l’école qui forme les experts de la restauration exporte avec succès sa rigoureuse pédagogie toute vouée à l’édifice et son histoire, tout comme ses diplômés rompus à la réalité du terrain.
Paris. Après la violente charge lancée par Victor Hugo dans sa Guerre aux démolisseurs pour « arrêter le marteau qui mutilait la face du pays », le premier poste d’inspecteur général des Monuments historiques est créé en 1830, puis la première loi de protection des Monuments historiques est mise en place en 1887. La future école de Chaillot naît cette même année au Trocadéro. Aujourd’hui, 45 000 monuments historiques, de nombreux sites et centres urbains patrimoniaux requièrent l’intervention de professionnels avertis. Fidèle à sa mission d’origine, l’École de Chaillot forme « au meilleur niveau les praticiens et les experts qui prendront demain en charge le patrimoine » dans le but d’assurer sa conservation, sa restauration et sa valorisation. La France ne compte toutefois qu’une quarantaine d’architectes en chef des Monuments historiques (ACMH) et 1 000 architectes du patrimoine exerçant sous statut privé et parfois public, notamment au sein de collectivités territoriales.
De jeunes diplômés du DSA « Architecture & Patrimoine » de Chaillot témoignent. « La formation post-master, destinée aux professionnels, sur deux ans, est remarquable, très intense et concrète », souligne Giorgia Zanin, 34 ans, architecte italienne formée à l’Université polytechnique de Milan. « Tout en poursuivant mon activité professionnelle en Suisse, j’ai beaucoup appris en matière d’histoire de l’architecture, de dégradation des structures, d’analyse de l’état sanitaire, de pathologies du bâti. Et grâce aux expériences de terrain, j’ai compris le lien extraordinaire qui se tisse avec le bâtiment quand on le touche, l’inspecte. Il faut rester à l’écoute du bâtiment pour comprendre son histoire et ce qu’il nous demande. L’École m’a inspiré l’amour de l’édifice. Elle m’a donné confiance et courage ». Si la charte de Venise s’impose à tous, la jeune architecte voit bien les nuances dans les approches italienne et française en matière de préservation du patrimoine : la première, plus attachée à l’authenticité de la matière, la seconde, à l’image et au style. « Mais chaque cas est singulier. L’architecte du patrimoine, en s’appuyant sur un travail minutieux, définit le meilleur parti d’intervention, mesures d’urgence, projet de «confortation» ou restauration. L’essentiel, c’est le respect du bâtiment. Si les maçonneries, les toitures ou les charpentes ont besoin d’être reprises, on a l’énergie pour le faire ! Mais retenons notre ego », ajoute-t-elle.
École de la rigueur et de la curiosité, Chaillot est aussi ouverte au monde et aux enjeux contemporains. Pour Simon Leuckx, 34 ans, passé par le cursus d’architecture de l’Université de Venise, le patrimoine bâti ne peut être dissocié de l’espace habité, de son environnement humain. « Chaillot est un lieu unique, où les débats sont vifs et pointus ! Un édifice non habité se transforme inéluctablement en ruine. Pour moi, le professionnel ne doit pas congeler le patrimoine, mais lui permettre d’être vivant. » L’atelier croisé à Zengchong, en Chine, auquel il participe avec une dizaine de Chaillotins et autant de professionnels chinois, constitue une « démonstration lumineuse » de la méthode Chaillot. « Pendant dix jours, nous avons arpenté et dessiné le village sous toutes ses coutures, interviewé les habitants avec l’aide d’un interprète. Puis, nous avons analysé, disséqué, ces données pendant un an. Extrait de ses références culturelles, le regard qui interroge et décompose le cadre bâti est l’essentiel. » Depuis deux ans sur le site d’Angkor, au Cambodge, dans le cadre d’une mission de l’École française d’Extrême-Orient, Simon Leuckx est architecte d’opération du chantier de restauration du Mebon occidental, splendide temple - îlot du XIe siècle, gravement endommagé. « Mon travail est fait de passion mais vise la transmission dans l’humilité. On ne signe rien ! »
À la sortie de Chaillot, Sixte Doussau de Bazignan, 32 ans, ingénieur et architecte, intervient pour sa part avec Didier Repellin (ACMH) en Italie, sur le site de l’Aquila dévasté par le séisme de 2009. « On ne peut connaître ni toute l’histoire ni tous les monuments. Mais la méthodologie de Chaillot, “la culture du diagnostic”, permet de travailler partout ». La structure souple de l’église Sainte-Marie des Suffrages, en brique et bois, est ainsi mise en lumière, ce qui permettra d’adapter les moyens nécessaires à son renforcement. Aujourd’hui, le jeune architecte souhaite se spécialiser dans les interventions d’urgence « notamment pour la dimension humaine ». Récent lauréat du Richard Morris Hunt Prize, Sixte Doussau de Bazignan réalisera une étude aux États-Unis autour des urgences climatiques qui le conduira tant en Louisiane qu’en Californie. « La formation Chaillot s’exporte très bien ! »
Avec 70 architectes cambodgiens, vietnamiens et laotiens formés depuis 2007 par l’École de Chaillot et l’École du patrimoine du Cambodge grâce à l’aide des ministères français de la Culture et des Affaires Étrangères, autant d’architectes formés en Syrie jusqu’en 2011, des formations qui se poursuivent en Bulgarie et au Maroc, Chaillot s’impose comme une référence internationale. Pourtant, depuis 2015, ses moyens financiers ont été amputés par la Cité de l’architecture et du patrimoine au sein de laquelle Chaillot a été intégrée en tant que département de la formation. Dans ce contexte, Bruno Favel, chef du département des Affaires européennes et internationales à la direction générale des patrimoines du ministère de la Culture, tient à saluer « l’action admirable conduite par Chaillot au plan international ». Au tournant de ses 130 ans, à l’heure où un nouveau directeur est en cours de nomination, Chaillot a un bel avenir.
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Chaillot, des architectes du patrimoine à bonne école
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Abonnez-vous dès 1 €(1) Victor Hugo, Guerre aux démolisseurs, 1825 et 1832, Revue des deux mondes, 1832.
(2) Mireille Grubert, ancienne directrice de l’École de Chaillot, in L’École de Chaillot, p. 9, Éditions des Cendres & Cité de l’architecture et du patrimoine, 2012.
(3) Chaillot assure la formation des architectes du patrimoine dans le cadre du DSA et la formation post-concours des architectes et urbanistes de l’État. Les conservateurs du patrimoine (monuments historiques, musées, archives…) sont formés à l’Institut national du patrimoine ainsi que les restaurateurs du patrimoine (objets mobiliers)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°492 du 4 janvier 2018, avec le titre suivant : Chaillot, des architectes du patrimoine à bonne école