Dorénavant, les architectes regarderont peut-être d’un autre œil les pharmaciens. Car c’est d’un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes relatif à ces professionnels que pourrait venir le salut de l’exercice de leur métier « à la française ».
En mai 2009, la Cour a en effet estimé que l’ouverture du capital des pharmacies allemandes et italiennes à des non-pharmaciens, préconisée dans le cadre de la transposition de la « directive services », pouvait constituer un risque en termes de santé publique. Or, cette même directive fait aujourd’hui peser une réelle menace sur le statut des architectes français. Après d’âpres négociations, la première manche semble avoir été gagnée par le ministère de la Culture, où l’on se dit décidé à défendre cette profession indispensable à la qualité du cadre de vie. Fin 2009, les services du ministère ont ainsi transmis un dossier sans ambiguïté au ministère des Finances, qui traite directement avec la Commission européenne pour transposer cette fameuse « directive services », autrefois appelée Bolkestein.
Mais quelles craintes les architectes peuvent-ils avoir quant à ce texte qui vise à faciliter la liberté d’établissement et la libre prestation de services de leurs homologues dans les états membres ? « La transposition de la “directive services” doit être faite de façon attentive afin de ne pas mettre en cause certaines dispositions essentielles de la loi de 1977 sur l’architecture qui ne sont pas contradictoires, à notre avis, avec les règles européennes », explique, en termes choisis, Jean Gautier, directeur, adjoint au directeur général des patrimoines.
Cette loi, qui régit l’exercice de la profession et impose le recours à l’architecte, prévoit un certain nombre de garanties pour assurer l’indépendance de la profession qui, d’un statut purement libéral, s’est progressivement organisée en sociétés d’architecture. Une règle, précisée en 2003, les préserve notamment des dérives du capitalisme : dans toute société d’architecture, les architectes doivent détenir la majorité du capital. Un système similaire existe en Allemagne, Autriche, Belgique et Espagne. « La suppression de cette obligation conduirait les architectes à devenir les simples salariés d’acteurs économiques aux intérêts éloignés de la qualité architecturale », écrivait Lionel Dunet, président du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA) dans une tribune des Cahiers de la profession (no 35, deuxième trimestre 2009). Dans ce cas de figure, les sociétés d’architecture pourraient être dirigées par des professionnels non qualifiés. « Ces sociétés présenteraient un risque pour la sûreté et la qualité du service, voire pour la sécurité de l’usager », précise Isabelle Moreau, directrice des relations institutionnelles et extérieures du CNOA.
Un arrêt transposable
En France, la profession d’architecte est réglementée, c’est-à-dire qu’elle requiert des qualifications précises, est soumise à des règles et est encadrée par un ordre. Lui incombent également des responsabilités particulières. Les architectes ont notamment l’obligation de contracter une assurance professionnelle et, comme tous les constructeurs, sont soumis à la garantie décennale de parfait achèvement des constructions. Soit un engagement à assumer tout vice de construction pendant dix années après la livraison d’un chantier. « Ce système n’est pas un obstacle, mais une garantie pour le consommateur », souligne Jean Gautier. Conformément à l’esprit de la loi de 1977, qui stipule que « la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels et urbains ainsi que le patrimoine collectif et privé sont d’intérêt public ». Le ministère de la Culture et le CNOA estiment donc que l’arrêt sur les pharmaciens, qui s’en réfère à l’intérêt général, est parfaitement transposable au cas des architectes.
Restait toutefois à obtenir un arbitrage politique afin de faire plier Bercy, soucieux d’éviter tout contentieux avec la Commission européenne. D’autres professions réglementées – architectes, mais aussi experts-comptables, vétérinaires ou avocats – pouvant être concernées par une transposition hasardeuse, le ministère des Finances s’est finalement rangé à cet avis. La Commission européenne devra prochainement se déterminer et émettre ou non des restrictions sur cette position du gouvernement français. Auquel cas, le dossier pourrait être porté devant la Cour européenne de justice. Mais à la sous-direction de l’architecture, tout comme au CNOA, la confiance est de mise.
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Bruxelles courrouce les architectes...
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Bruxelles courrouce les architectes...