Anthropologue spécialisé dans l’étude des minorités ethniques de la péninsule indochinoise, Yves Goudineau vient d’être nommé directeur de l’EFEO, l’École française d’Extrême-Orient. Il dévoile ses projets et ses priorités.
Vous venez de prendre la direction d’une vénérable institution plus que centenaire. Quelles sont vos premières intentions ?
L’EFEO, en effet, a été créée en 1900 à Hanoï avec comme mission originelle la recherche fondamentale sur le terrain. Il convient de maintenir cette vocation tout en l’adaptant aux modalités nouvelles de notre époque. Il y a encore quelques années, les chercheurs passaient dix voire vingt ans en Asie pour étudier les monuments, les stèles ou les manuscrits. De nos jours, les facilités de déplacement et les nouvelles technologies ne justifient plus que l’on passe toute son existence sur le terrain. En outre, les partenariats se sont intensifiés avec nos collègues asiatiques. Il convient parallèlement de rendre davantage visible notre action en France. Les pionniers de l’EFEO ont défriché et restauré des monuments, établi des corpus épigraphiques. Désormais, la plupart de ces textes sont consultables en ligne. Par ailleurs, grâce à nos dix-huit centres et antennes dans douze pays d’Asie, nous sommes en mesure de monter des projets transversaux, et nous sommes de plus en plus ouverts à des perspectives de recherches contemporaines. L’EFEO a ainsi remporté un appel d’offres européen pour piloter un projet collectif sur l’intégration régionale en Asie du Sud-Est.
Vous êtes anthropologue de formation. Or cette discipline était jusqu’à présent peu représentée au sein de l’École. Allez-vous renforcer certains axes de recherche ou en lancer d’autres ?
De fait, sur 42 chercheurs, on ne dénombre que trois anthropologues. Et j’ajouterai que sur les quinze directeurs successifs de l’EFEO, je suis le deuxième ethnologue ! Les points forts de l’EFEO demeurent l’archéologie et l’histoire de l’art de l’Asie du Sud et du Sud-Est, les études indianistes (le sanskrit et le tamoul, langues étudiées dans notre centre de Pondichéry), l’histoire des religions (la diffusion du bouddhisme, le taoïsme, le shivaïsme), l’épigraphie et la philologie. L’ethnographie y représente cependant une tradition ancienne, s’appuyant d’abord sur tout un réseau de correspondants (missionnaires, administrateurs). On peut aussi citer les travaux de Georges Condominas sur les minorités ethniques des hauts plateaux du Vietnam, ou ceux de Charles Archaimbault sur les traditions rituelles laotiennes ; et, à la frontière de l’histoire et de la sociologie, ceux de Paul Mus sur la péninsule indochinoise ou de Denis Lombard sur l’archipel indonésien. Des recherches anthropologiques sont aujourd’hui menées au Vietnam, notamment dans le delta du fleuve Rouge, mais aussi au Laos où j’ai moi-même conduit de longues enquêtes ethnographiques dans la cordillère annamitique. D’autres projets concernent la Chine, comme l’anthropologie religieuse des temples de Pékin…
La contribution de l’EFEO à la préservation du patrimoine a toujours été importante. Quels sont désormais vos rapports avec des pays comme le Cambodge ?
Le rayonnement de l’École demeure remarquable en Asie : nos chercheurs sont toujours très sollicités, particulièrement en matière d’archéologie et de restauration.
Parmi les grands sites auxquels reste attaché le nom de l’EFEO, le plus célèbre et le plus visible est, sans conteste, celui d’Angkor. Nous avons récemment achevé la restauration titanesque du temple-montagne du Baphuon, tandis que celle d’un temple-îlot, le Mébon occidental, est en cours de réalisation. L’EFEO a conduit parallèlement des missions archéologiques, à Angkor même, mais aussi au sud du Laos et en Thaïlande sur des sites proto-Khmer et Môn, ou dans le centre et le sud du Vietnam, lieux des civilisations du Champa et du Funan. Un autre pays qui nous intéresse est la Birmanie, dont je reviens tout juste.
L’inventaire exhaustif des milliers de monuments de Pagan a été effectué dans les années 1990 pour l’Unesco par un architecte de l’EFEO, Pierre Pichard. Aujourd’hui les Birmans souhaitent que nous poursuivions des recherches sur ce site, qui a, hélas, été restauré de façon un peu rapide entre 1995 et 2005. Ce pays s’intéresse aussi de plus en plus aux anciennes civilisations Pyu, pour des raisons identitaires. La contribution de nos chercheurs en épigraphie pourrait se révéler d’un grand secours. La Corée du Nord elle-même nous a sollicités pour un chantier de fouilles dans la cité impériale de Kaesong…
L’un des principaux fléaux qui touchent encore ces pays est le pillage. Quels sont vos moyens d’intervention ?
Il y a une vingtaine de jours, j’étais à Phnom Penh où se tenait une grande cérémonie de « retour » de statues volées dans les années 1970 sur le site de Koh Ker. Or ce sont deux membres de l’EFEO – l’archéologue Éric Bourdonneau et Bertrand Porte, responsable de l’atelier de restauration du musée national – qui ont retrouvé il y a quelques mois la trace de ces œuvres sur un catalogue de ventes de Christie’s, à New York. Grâce à leur intervention, l’État américain a restitué très officiellement les statues au gouvernement cambodgien…
En ces périodes de restrictions budgétaires et de frilosité, comment voyez-vous l’avenir de l’EFEO ?
Je suis confiant car l’EFEO est une institution qui a toujours su rebondir et s’adapter aux soubresauts de l’Histoire, tout en conservant une excellente image dans toutes les régions d’Asie où elle est intervenue. Certes, il va nous falloir chercher de nouveaux financements extérieurs, répondre à plus d’appels internationaux, nous tourner davantage encore vers des mécènes et des fondations. Dans un même temps, nos centres et antennes doivent conserver la capacité d’accueillir des chercheurs et étudiants, français comme étrangers.
Enfin, il m’apparaît indispensable de continuer à développer des partenariats scientifiques avec des institutions prestigieuses, européennes et françaises, tel notre proche voisin, le Musée Guimet. Sa directrice, Sophie Makariou, et moi-même souhaitons pouvoir relancer des projets communs (conférences, expositions de photos anciennes…), sachant que nos deux institutions partagent une longue histoire de collaborations croisées. L’EFEO a souvent apporté son expertise pour la constitution des collections ou lors d’expositions temporaires, tandis que le Musée Guimet est toujours apparu comme une formidable vitrine de nos recherches sur l’Asie.
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Yves Goudineau : « La Corée du Nord elle-même nous a sollicités »
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Yves Goudineau © EFEO.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Yves Goudineau : « La Corée du Nord elle-même nous a sollicités »