BERLIN / ALLEMAGNE
À l’origine de projets en rupture avec le théâtre de répertoire et victime de violentes critiques, le directeur controversé de la scène mythique de l’ancien Berlin-Est démissionne.
Berlin. Pratiquement trois ans jour pour jour après sa nomination, Chris Dercon quitte ses fonctions de directeur de la Volksbühne de Berlin, avant même la fin de sa première saison. Son supérieur, Klaus Lederer, le sénateur (ministre régional) pour la Culture et l’Europe, a annoncé une décision prise « d’un commun accord » dans un communiqué de presse laconique publié le 13 avril dernier.
L’ancien directeur de la Tate Modern n’est pas parvenu à insuffler un souffle nouveau dans ce théâtre emblématique de l’ancien Berlin-Est. Il succédait au charismatique Frank Castorf, qui a régné pendant vingt-cinq ans sur la Volksbühne et fait rayonner le théâtre et ses productions bien au-delà des frontières allemandes. L’annonce de la fin de l’ère Castorf et de la nomination d’un commissaire d’exposition à sa place avait créé une polémique d’une ampleur inédite et qui, loin de s’atténuer, est allée crescendo depuis la nomination de Chris Dercon en 2015 et son entrée en fonction en juillet 2017. Le Flamand de 59 ans était accusé par ses détracteurs de vouloir créer un lieu axé sur l’événementiel plutôt qu’un théâtre de répertoire. Il a incarné en sa personne toutes les critiques envers les maux du « néocapitalisme » qui affecte la capitale allemande selon les protestataires. La Volksbühne représentait également le dernier bastion du Berlin alternatif des années 1990.
Rien n’a été épargné à Chris Dercon : pétition en ligne de 40 000 signatures, lettre ouverte de l’ancienne troupe du théâtre, démantèlement d’une sculpture symbole du théâtre avec interdiction d’en utiliser le logo, violentes attaques sur les réseaux sociaux, prise à partie dans le métro, dépôt d’excréments devant son bureau provisoire. En septembre, le théâtre avait été occupé par des protestataires et avait dû être évacué par la police après l’échec des négociations. La réouverture de la Volksbühne a ainsi dû se faire sous protection policière.
Le sénateur Klaus Lederer a cependant beau jeu de dénoncer les « attaques en dessous de la ceinture », dont Chris Dercon a été la cible. En effet, celui-ci n’a eu de cesse de lui savonner la planche. Une de ses promesses électorales avait été de réexaminer le contrat de Chris Dercon. Une fois nommé au poste nouvellement créé de sénateur à la Culture, il avait finalement dû s’en tenir aux obligations contractuelles. Lederer et Dercon s’étaient ainsi « mis d’accord d’être en désaccord », ce qui ne représentait pas exactement un vote de confiance de la part de l’homme politique. Sans compter le silence assourdissant du maire de Berlin, à l’origine de la nomination de Dercon par l’intermédiaire de son secrétaire d’État à la Culture en 2015.
Difficile dans ce contexte pour Chris Dercon de constituer une équipe. Boris Charmatz, directeur du Musée de la danse à Rennes, qui devait rejoindre l’équipe artistique, avait ainsi avoué qu’il avait renoncé à s’établir à Berlin en raison du climat incertain qui régnait à la Volksbühne. Le danseur et chorégraphe avait tout de même présenté ses productions et brillamment convaincu avec 10 000 gestes et Danse de nuit dans l’ancien aéroport de Tempelhof, qui devait devenir une annexe de la Volksbühne en marge du bâtiment historique. La réouverture de ce bâtiment, mêlant des pièces de Beckett et des performances de Tino Sehgal, n’avait par contre convaincu ni les amateurs d’art ni les amateurs de théâtre. Si les performances de Sehgal avaient leur place au Palais de Tokyo, elles tombaient hélas quelque peu à plat dans le Foyer du théâtre.
Mais selon la presse allemande, le départ précipité de Chris Dercon, en dehors de l’échec de la programmation, s’explique par la situation financière catastrophique du théâtre. Le quotidien Süddeutsche Zeitung, qui a enquêté sur les finances du théâtre, affirme que, en sus de l’impact de la désaffection du public sur les recettes, Chris Dercon avait tablé sur plus d’1,2 million d’euros issus de sponsors, mais n’a recueilli qu’un dixième de cette somme. Des ambitions peut-être réalistes pour la Tate Modern, mais démesurées pour un théâtre.
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Volksbühne de Berlin : Chris Dercon jette l’éponge
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : Volksbühne de Berlin : Chris Dercon jette l’éponge