Le marché de l’Art déco reste au beau fixe, mais souffre d’une extrême raréfaction. Les amateurs délaissent le classicisme bourgeois au profit de lignes plus épurées.
L’Art déco prend pied dans les années 1920, dans un contexte social en mutation. Les hôtels particuliers cèdent la place aux appartements fonctionnels où priment hygiène et confort. Toute fioriture est sacrifiée sur l’autel de la simplification des volumes. Un mode de vie qui, somme toute, rejoint le nôtre. Aussi depuis dix ans, les têtes de pont de l’Art déco ont vu leur prix progresser à grands pas. La vente de la collection Claude et Simone Dray en 2006 chez Christie’s offre la mesure de ces embardées. Une paire de jardinières d’Armand-Albert Rateau, adjugée pour 3,1 millions de francs chez Tajan en 1994, est alors achetée pour le prix record de 4,1 millions d’euros par la galeriste parisienne Cheska Vallois. De même, un cabinet d’angle de Jacques-Émile Ruhlmann, emporté pour 700 000 francs en 1995, est tombé dans l’escarcelle d’un collectionneur américain pour 1,5 million d’euros. Plus que tout autre créateur, Ruhlmann reste le best-seller de ce mouvement. Au point qu’un miroir circulaire provenant de sa famille a décroché le prix faramineux de 205 000 euros chez Camard
& Associés en juin dernier.
Le « luxe pauvre »
Hormis les pièces exceptionnelles, le néotraditionalisme poudré cède le pas à des formes épurées. Aussi est-ce vers le « luxe pauvre » d’un Jean-Michel Frank que se portent aujourd’hui les regards, comme le prouvaient les stands des marchands Cheska Vallois, L’Arc en Seine et Anne-Sophie Duval à la Biennale des Antiquaires de Paris l’an dernier. De son vivant, ce décorateur « intello » était réputé si onéreux qu’on prétendait qu’il mettait Paris sur la paille, clin d’œil à ses meubles en marqueterie de paille. En décembre 1989, lors de la vente de la veuve d’Adolphe Chanaux, ancien associé de Frank, une paire de chaises en bois tourné noirci était estimée 10 000 à 12 000 francs. Elle vaut aujourd’hui dans les 100 000 euros en galerie. En juin 2006, une table basse en galuchat de la collection Rockefeller s’est même propulsée à 450 000 dollars.
Qui pense épure, songe aussi aux artistes de l’Union des Artistes Modernes. L’Art déco version verre et tubulaire reste toutefois rare sur le marché. Certes, en 2003, les meubles de Mallet-Stevens de la Villa Cavrois, à Croix (Nord), ont pulvérisé leurs estimations chez Camard & Associés. L’ensemble de la salle à manger, des fauteuils, de la coiffeuse et de la travailleuse avait été acheté par le galeriste Karsten Greve pour environ un million de francs à la galerie l’Arc en Seine (Paris) en 1992. Lors d’une vente en 2003, le même ensemble totalise 825 000 euros, cinq fois la somme déboursée dix ans plus tôt ! En 2005, lors d’une exposition à la Galerie Doria à Paris, les pièces de Mallet-Stevens affichent des prix de 100 000 à 430 000 euros. Mais cet architecte, qui avait notamment réalisé les décors surprenants du film L’Inhumaine de Marcel L’Herbier, a laissé une œuvre trop peu féconde pour nourrir les transactions.
Technique du cloutage
Dans le versant moderniste, un autre créateur, André Sornay, célèbre pour sa technique du cloutage, sort des oubliettes depuis trois ans sous l’impulsion du marchand parisien Alain Marcelpoil. Ce dernier enfonce le clou – c’est le cas de le dire ! – au Salon du Collectionneur 2007 en présentant son mobilier en pin d’Oregon et ses créations à système dans une gamme de 15 000 à 150 000 euros. Certains misent sur la redécouverte de la maison Dominique, fondée en 1922. Sans style défini, cette maison déclinera le vocabulaire Art déco avec la constance du juste milieu. Si quelques pièces en galuchat sortent du rang, le marché reste en sourdine en raison d’une production restreinte. Les amateurs désavouent en revanche le goût du bon père de famille classique, à l’image des créations de Sue & Mare. « Sue & Mare est aujourd’hui en perte de vitesse, confie Sonja Ganne, spécialiste de Christie’s. Les volutes, les enroulements avec des grappes de fruits renvoient une image trop bourgeoise. » Aussi dans la vente Dray un lit de repos du duo, d’inspiration très Directoire, est resté sur la touche. Les lits s’avèrent d’ailleurs globalement difficiles à vendre car les collectionneurs se soucient d’un confort de literie. De même, les coiffeuses trouvent davantage leur place dans les chambres à coucher américaines que françaises. Si certains meubles s’insinuent mal dans nos décors, l’Art déco tout entier peut-il un jour passer de mode comme c’est le cas pour le XVIIIe ? « L’Art déco est protégé tant que vous avez des marchands qui continuent à le défendre, affirme Sonja Ganne. Il ne passera pas de mode, car nous sommes dans des lignes et des dessins qui correspondent à notre environnement. »
Luxe discret et perfectionnisme sourcilleux caractérisent le travail d’Eugène Printz, auquel la galerie Willy Huybrechts, à Paris, consacre une exposition du 11 septembre au 11 octobre. Praticien plus que théoricien, ébéniste et fils d’ébéniste, Printz était soucieux de qualité et de détails. Son goût pour les essences exotiques, comme le bois de palmier ou le palissandre de Rio, ses bronzes oxydés à l’éponge conférant au métal un aspect nuageux, comptent parmi ses marques de fabrique. Ce créateur connut son heure de gloire en aménageant les appartements privés de la Princesse de la Tour d’Auvergne au château de Grosbois (Val-de-Marne), le bureau de la couturière Jeanne Lanvin à Paris et l’appartement de l’acteur Louis Jouvet. Aujourd’hui, le collectionneur Pierre Hebey possède une cinquantaine de ses pièces. Défendu puis délaissé par le marchand Jean-Jacques Dutko, Printz est pourtant longtemps resté confidentiel. Depuis 2001, le marchand Willy Huybrechts a pris le relais pour le valoriser. C’est chose faite, puisque ses prix ont triplé en six ans. Un constat que confirme la vente d’une Maison par Eugène Printz en mai 2006 chez Christie’s. Un cabinet de 1935 part alors pour 168 000 euros. La cote se raffermit en mai dernier, où Willy Huybrechts achète un cabinet de plus grande taille pour 513 600 euros. Au vu de ces résultats, le marchand propose pour un million d’euros une table à plateau en laque noire de Jean Dunand. Une pièce luxueuse qui, de surcroît, n’était pas apparue sur le marché depuis 1935.
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Valeurs sûres et redécouvertes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Valeurs sûres et redécouvertes