La collection Phillips comprend quelques-uns des tableaux les plus célèbres au monde. C’est parce qu’ils illustrent parfaitement la modernité selon la définition de Baudelaire.
Qualifiée dès 1930 par son fondateur de « musée de l’art moderne et de ses origines », la collection Phillips présente un panel de ce qui constitue la modernité telle que l’entendait Baudelaire (1821-1867). « La modernité, écrit celui-ci en 1863 dans Le Peintre de la vie moderne, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. »
On le sait, il n’y pas de mots plus appropriés que ces deux derniers pour qualifier la ville de Rome. Le tableau que Corot peint en 1826, intitulé Rome, vue prise des jardins Farnèse, et qui figure dans la collection américaine, en est une éclatante illustration. La ville y est baignée d’une lumière égale qui lui confère quelque chose d’un suspens et semble la fixer définitivement dans le silence.
Le temps immuable
Dans une autre manière mais tout aussi puissante, on trouve cet « immuable » dans le tableau d’Edward Hopper À l’approche de la ville, daté de 1946. L’écrasante brutalité du cadrage et l’absence de présence humaine construisent une image figée. Ici et là deux paysages urbains, deux modèles de civilisation, mais tous deux posèdent une même charge intemporelle. Comme il en est encore, d’un siècle à l’autre, de cette Petite Baigneuse, vue de dos, peinte par Ingres en 1826, dont la pose figée lui confère une présence d’éternité, et de cette imposante Femme au chapeau vert de Picasso (1939) dont le regard plonge au plus profond d’elle-même.
La disparition du sujet
Dans une façon inverse, proprement « contingente » pour reprendre la terminologie baudelairienne, Le Ballet espagnol de Manet (1862) est un pur chef-d’œuvre de réalité brute comme le peintre s’appliquait alors à en rendre compte, soucieux de vérité crue. Sans ambages, ni fioritures, Lola de Valence y est représentée en compagnie de la troupe, saisie sur le vif d’une répétition. « La peinture n’est autre chose que la peinture, disait Manet, elle n’exprime qu’elle-même. »
Leçon retenue par les générations à venir comme l’illustrent cet Intérieur de Vuillard (1894), cette Nature morte de Juan Gris (1916), ce Guéridon de Braque (1929), cet Intérieur au rideau égyptien de Matisse (1948) ou bien encore ce Bleu si lumineux de Sam Francis (1958), autant d’œuvres fortes qui privilégient la peinture par rapport au sujet.
Quant aux notions du « transitoire » et du « fugitif », c’est d’abord et avant tout chez les impressionnistes qu’on les trouve. La Route de Vétheuil que Monet peint en 1879 témoigne ainsi de l’extrême attention du peintre à suggérer les changements de la nature en fonction de la saison, de la lumière et de l’heure. Quant à Renoir, son tableau du Déjeuner des canotiers (1880-1881) en dit long sur sa façon de transcrire les jeux diaprés de la lumière et de célébrer la beauté et la fugacité du monde.
Des formes biomorphiques
Comme l’expriment quelques décennies plus tard La Côte d’Azur de Pierre Bonnard (vers 1923), l’une de ses œuvres les plus radieuses, cette folle Succession de Kandinsky (1935). Celle-ci est faite de l’agitation frénétique de petites formes biomorphiques qui ont l’allure d’êtres hybrides et bouffons qui semblent danser la vie et proclament tant la liberté de la peinture que celle du peintre.
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Une illustration de la modernité chère à Baudelaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°575 du 1 décembre 2005, avec le titre suivant : Une illustration de la modernité chère à Baudelaire