Inauguré le 1er décembre 1986, ce trait d’union entre les collections du Louvre et du Musée national d’art moderne se contente de quelques rares événements pour souffler ses vingt bougies.
PARIS - Entre les célébrations des trente ans de la mort d’André Malraux et l’ouverture du Centre Pompidou (lire le JdA n°247, 17 novembre 2006), n’y avait-il pas de place pour fêter les vingt années du musée d’Orsay ? Ou faut-il lire en creux dans cette confidentialité des événements un refus d’honorer le projet culturel majeur de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), peu en grâce auprès de l’actuel locataire de l’Élysée ? Nul ne se risquera à se prononcer, pas même Serge Lemoine, troisième directeur de l’établissement depuis sa création – après Françoise Cachin et Henri Loyrette –, pourtant visiblement irrité par cette relégation de son musée au rang des seconds rôles. Car vingt années après sa création, le Musée d’Orsay n’a ni à rougir de son succès public – avec 51,5 millions de visiteurs depuis son ouverture – ni de son travail de réhabilitation de l’art de la seconde moitié du XIXe siècle, encore voué aux gémonies à la fin des années 1970, et présenté ici dans toutes ses composantes : peinture, sculpture, arts décoratifs, architecture et photographie, domaine dans lequel Orsay a fait figure de pionnier. Le pari était pourtant loin d’être gagné quand, en 1972, Michel Laclotte, alors conservateur en chef du département des peintures du Musée du Louvre, tentait de convaincre Jacques Duhamel, ministre des Affaires culturelles de Georges Pompidou, de consacrer l’ancienne gare d’Orsay aux arts plutôt qu’à un projet de Maison des provinces de France en lançant cette phrase : « Monsieur le ministre, il faut choisir entre Cézanne et le reblochon » (cité dans Michel Laclotte, Histoires de musées, souvenirs d’un conservateur, éd. Scala, 2003). Depuis 1961, date à laquelle la SNCF avait décidé de vendre la gare construite par Victor Laloux pour l’exposition universelle de 1900, les projets s’étaient, en effet, succédés jusqu’au refus de démolition prononcé en 1971, imposant une réaffectation de l’édifice. La ténacité de Jean Chatelain, directeur des musées de France, et de Jacques Rigaud, alors directeur de cabinet de Jacques Duhamel et futur président de l’établissement, allait pourtant finir par emporter l’assentiment de Georges Pompidou, dont la disparition provoqua la mise en veille du projet, relancé en octobre 1977 par Valéry Giscard d’Estaing. Outre les vicissitudes bien connues des travaux de transformation, confiés après un concours décevant au trio d’ACT architecture – Pierre Colboc, Renaud Bardon et Jean-Paul Philippon – et rapidement dépossédés de leur projet par la décoratrice Gae Aulenti, le musée allait aussi être le sujet de débats vigoureux quant à ses limites chronologiques et son appellation. Quand Valéry Giscard d’Estaing voulait y installer un grand musée du XIXe siècle s’ouvrant avec La Liberté guidée par le peuple de Delacroix, les conservateurs, menés par Michel Laclotte, défendaient une chronologie couvrant la période 1848-1914. L’affaire fut finalement tranchée en ce sens par François Mitterrand en 1981. Les règles étaient alors fixées : Orsay accueillerait les œuvres provenant du Musée du Jeu de Paume, consacré depuis 1947 à l’impressionnisme, les artistes des collections du Louvre nés après 1820 et enfin, la génération née avant 1870 du Musée national d’art moderne, qui venait alors de s’installer au plateau Beaubourg. Le tout devant être complété par des acquisitions. Vingt ans plus tard, cette césure est-elle toujours pertinente ? « Certaines décisions n’ont pas été suivies de façon tout à fait rigoureuses, précise Serge Lemoine. Les critères ont été historiques, mais ils ont été adaptés selon des principes très subjectifs. La césure de 1848 est bonne, mais je pense qu’il faut revoir la question d’Ingres et Delacroix. Pourquoi présenter Ingres à Orsay sans Le bain turc, resté au Louvre ? De l’autre côté, Vuillard et Denis sont tout entiers à Orsay, quand Bonnard est coupé en deux. De plus, le Musée national d’art moderne, dont les collections continuent à s’accroître, ne s’occupe plus des artistes nés dans les années 1880. Un pan très large de l’histoire de l’art n’est donc plus couvert ». Créé comme maillon entre les collections du Louvre et de Beaubourg, le musée d’Orsay paraît donc encore coincé entre ces deux mastodontes. Et dans la compétition à laquelle se livrent les deux établissements, Orsay semble rester en retrait, n’ayant ni cellule mécénat – transformé en établissement public il y a deux ans, le musée ne bénéficie pas encore de l’autonomie complète et ne gère pas son personnel –, ni projet de succursale. « Cette question ne se pose pas, car nous n’avons pas suffisamment d’œuvres pour créer un deuxième musée », rétorque Serge Lemoine. Ce dernier milite, en revanche, pour une extension du musée in situ. La seule solution serait pour cela d’annexer la parcelle voisine, qui appartient à l’État, mais où siège la puissante et lucrative Caisse des dépôts et consignations. Une belle idée de cadeau d’anniversaire pour l’un des plus prestigieux musées français.
À lire : Orsay. De la gare au musée, Réédition de l’ouvrage de Jean Jenger, éd. RMN, 2006, 247 pages, ISBN 2 711 849 775.
Les manifestations des vingt ans : - VU à Orsay, l’agence de photographie et le musée célèbrent conjointement leurs vingt ans avec une carte blanche laissée à cinq photographes (Gabriele Basilico, Richard Dumas, Juan Manuel Castro Prieto et Stanley Greene), à partir du 4 décembre. - Un ensemble Art Nouveau, la donation Rispal, jusqu’au 28 janvier 2007, tél. 01 40 49 48 00, www.musee-orsay.fr
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Un vingtième anniversaire bien discret
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Un vingtième anniversaire bien discret