Les plaintes déposées par le syndicat Sud-Culture à l’encontre de quatre musées et de leurs prestataires dénonce un « système » basé sur un recours abusif à la sous-traitance.
Paris, Marseille. Accueil, sécurité, médiation, récolement des œuvres d’art…, rares sont les domaines d’activité des musées qui échappent encore au travail externalisé. Ce recours à la sous-traitance est au cœur de plaintes déposées au mois d’octobre par le syndicat Sud-Culture à l’encontre de quatre musées (le Louvre, le Mucem [Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée], l’Établissement public du palais de la porte Dorée et la Bourse de commerce-Pinault Collection) et de leurs prestataires (Musea, Pénélope et Marianne International). Portées devant les tribunaux de Paris et Marseille, ces plaintes veulent mettre en lumière une « illégalité systémique », selon les termes de l’avocat du syndicat, Me Thibault Laforcade.
Ce sont pour des délits de prêt illicite de main-d’œuvre et de marchandage que le syndicat dépose plainte : des faits pour lesquels des entreprises publiques ont été condamnées récemment (la SNCF au mois de janvier, La Poste en 2023, EDF en 2020), mais qui n’avaient encore jamais fait l’objet d’une plainte dans le secteur culturel. « Évidemment, comme c’est inédit, on part un peu à l’aveugle. Mais ce qui nous rend confiants, c’est qu’il y a une jurisprudence sur des cas similaires dans d’autres secteurs », indique l’avocat.
Pour caractériser le « prêt illicite de main-d’œuvre », il faut prouver que la sous-traitance est illégale, qu’elle est une mise à disposition de main-d’œuvre dissimulée derrière la vente d’une prestation, et que le recours à un prestataire poursuit un objectif lucratif. « Les juges emploient un faisceau de petits éléments qui ne sont pas révélateurs individuellement, mais qui, accumulés, permettent de déduire que la sous-traitance était un prêt de main-d’œuvre », explique la doctorante en droit Cécile Langaney, spécialiste de la fourniture de main-d’œuvre. La rémunération des travailleurs du prestataire est-elle forfaitaire, ou horaire ? L’entreprise sous-traitante apporte-t-elle une expertise, un savoir-faire, ou du matériel qui n’existe pas au sein de l’entreprise utilisatrice ? Mises bout à bout, les réponses à ces questions permettent aux juges de vérifier la légalité de la sous-traitance.
L’exercice du pouvoir de direction est un indice déterminant : le cadre de la sous-traitance ne permet pas aux musées d’être les donneurs d’ordres des salariés du sous-traitant. Dans la préparation de cette plainte, Sud-Culture a ainsi récolté des documents, courriels et vidéos qui démontreraient, selon le syndicat, ce lien hiérarchique illégal entre salariés des musées et salariés des prestataires : « Nous avons des vidéos qui montrent ce transfert de subordination, où l’on voit des salariés recevoir leurs ordres de la part du personnel des musées », affirme l’avocat.
Pierre-Olivier Costa, président du Mucem, soutient, lui, que cette chaîne hiérarchique est respectée au sein du musée marseillais : « Afin de s’assurer que les personnels du prestataire ne sont pas subordonnés à un personnel du Mucem, une organisation est prévue dans le cadre du marché : un responsable de site et des chefs d’équipe du prestataire sont présents pour encadrer leurs personnels. » Les trois autres musées n’ont pas souhaité commenter le dépôt de plainte du syndicat.
Les éléments récoltés par Sud-Culture décriraient pourtant un lien hiérarchique qui sort du cadre de la sous-traitance pour les quatre musées en question, selon Cécile Langaney : « De ce qu’il ressort des faits présentés dans la plainte, et des articles de presse, il semble évident qu’il y a un transfert de pouvoir. C’est cet argument qui compte, et il me suffirait pour considérer qu’il y a une “fausse” sous-traitance », estime la juriste. Le Journal des Arts a ainsi pu consulter certains documents attestant de situations qui manifesteraient un lien hiérarchique entre établissements et salariés des prestataires : un musée faisant signer une déclaration de confidentialité aux salariés du sous-traitant, ou un autre prenant part à un conflit social entre l’entreprise sous-traitante et ses employés. « Tout cela va dans le sens d’une immixtion du musée, qui n’est que le bénéficiaire de la sous-traitance et n’a aucun pouvoir sur les travailleurs. Il peut seulement recevoir le fruit de leur travail. » La charte sociale publiée en 2015 par le ministère de la Culture insiste d’ailleurs sur l’autonomie des salariés des entreprises sous-traitantes, rappelant que « les agents doivent s’abstenir de donner des instructions directes aux salarié-es prestataires ».
Si ce transfert de pouvoir est essentiel pour démontrer une sous-traitance fictive, les juges peuvent en demander davantage pour se prononcer : « Il faut garder à l’esprit que, dans la jurisprudence, les lignes sont assez floues lorsqu’il s’agit de qualifier de “fausse” une sous-traitance. Le principe du faisceau d’indices a pour conséquence qu’on a jamais de ligne franche », observe Cécile Langaney.
La preuve d’une motivation lucrative, pour l’entreprise sous-traitante ou pour le musée, doit également être apportée : dans le cas présent, il manque encore à la plainte des éléments chiffrés permettant de le démontrer clairement, estime la juriste, tels des documents contractuels et commerciaux. Documents auxquels pourraient avoir accès les procureurs de Paris et Marseille avec l’ouverture d’une enquête.
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Un syndicat à l’assaut de la sous-traitance dans les musées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : Un syndicat à l’assaut de la sous-traitance dans les musées