Sept ans après l’entrée en lice de Rachel Whiteread pour la construction d’un Mémorial de l’Holocauste à Vienne, La Bibliothèque anonyme de l’artiste anglaise vient d’être inaugurée sur la Judenplatz. Le mausolée rectangulaire s’inscrit dans un ensemble formé par les vestiges d’une synagogue détruite en 1421, et d’un Musée sur la société juive au Moyen Âge.
VIENNE (de notre correspondant) - Lors de l’inauguration officielle de La Bibliothèque anonyme de Rachel Whiteread, Simon Wiesenthal, vétéran de la lutte contre le nazisme et initiateur du projet, a averti les 400 invités que “le monument ne doit pas être beau, mais qu’il doit faire mal”. Proche d’un mausolée, la sculpture a été réalisée à partir de 65 000 copies du même livre, un pour chaque Juif autrichien tué par les nazis. Haut de 3 mètres, le parallélépipède de 10 m sur 7 contraste avec les façades baroques voisines. L’objectif du monument est clair : s’éloigner du simple rappel des horreurs de l’Holocauste pour devenir un memento mori abstrait. La réaction du public a été forte, à l’image de l’opposition au projet et au temps nécessaires à sa construction : l’inauguration était prévue pour le 9 novembre 1996, date anniversaire de la Nuit de cristal. Mais ce n’est qu’au terme d’efforts diplomatiques que le conseiller de Vienne pour les Affaires culturelles, Peter Marboe du Parti du peuple (Österreichische Volkspartei), appuyé par le président autrichien, a réussi à imposer l’édification. Rachel Whiteread avait, elle, remis sa candidature en 1993 et le monument était construit depuis plus d’un an.
Le concours, remporté par l’artiste anglaise en 1996, indiquait que le monument se devait d’être non-figuratif, en opposition à la sculpture contre le fascisme érigée par Alfred Hrdlicka sur la Albertinaplatz à Vienne ; marquée par ses visages émaciés et la présence d’un vieillard juif en train de frotter le sol à genoux, la pièce avait suscité une résistance tenace et n’avait finalement vu le jour qu’en 1991, avec trois ans de retard par rapport au projet. La proposition de Whiteread a rencontré le même mépris de la part de certains habitants et du FPÖ de Jorg Haider (Freiheitliche Partei Österreichs), parti d’extrême droite aujourd’hui au pouvoir. Pareille démarche était pour eux un abus tant esthétique que religieux dans un quartier principalement résidentiel et chrétien. Enfin, de nombreuses personnes estimaient que la découverte archéologique, sur le même lieu, de la plus vieille synagogue de la ville, Or Saura, brûlée pendant le pogrom de 1421, était une commémoration bien plus adaptée.
Le mémorial a finalement été déplacé d’un mètre pour laisser la place aux restes précieux de la Bima, partie la plus sacrée de la synagogue située sous la place en gravier. Pendant la réalisation dans la Maison Misrachi voisine d’un centre de documentation sur les 65 000 Juifs tués et l’installation dans ses sous-sols d’un Musée sur la société juive viennoise au Moyen Âge, elle est restée recouverte d’une bâche imperméable pendant un an.
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« Un monument qui doit faire mal »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°116 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : « Un monument qui doit faire mal »